Au Comité de rédaction, ma cheffe adorée, allongée lascivement, nue, sur un canapé de moleskine, caressant un tigre d’une main, le fouet dans l’autre :
– dites moi les losers, il me faut un volontaire pour aller au concert de Christophe. On m’a filé des places, faut que j’écoule les stocks.
– Christophe ???? le ringard qui a chanté Aline ? Celui qu’est incapable d’aligner deux mots correctement quand il passe dans une émission ??? On parle bien du même là ??? Il est pas mort lui ????
– Ben non, j’ai une place notamment pour le 15 janvier, c’est loin de la Toussaint et de l’ascension cette date. Bon un volontaire ????
– Plutôt crever que d’entendre une note de ce loser…
– Aaaaarrrrggggghhhhh…crunch…crunch…burp
(bruit de rédacteur hurlant après s’être fait arracher un bras par un fauve qui n’en demandait pas tant au départ de la réunion)
– Euuuuuuuuhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh moi je connais bien la discographie de Christophe et je veux bien m’occuper de chroniquer son concert si personne n’y voit d’objection.
– Ahhh Jism, je me disais…
– J’ai le choix du lieu ???
– Dans ma grande magnanimité, car je ne suis que paix et amour si on ne m’emmerde pas, je te le laisse.
– Bon…ben…Granville me convient. Au théâtre en plus, pourquoi pas.
-Nickel. Dites à l’autre d’arrêter de beugler comme un âne. Et nettoyez moi tout ce sang. Vous serez gentils.
Granville, jeudi 15 janvier, 20 h30.
J’arrive au Théâtre de L’Archipel, me place sur le siège dévolu à mon séant par le billet qu’on a bien voulu me donner à l’entrée. Je jette un oeil autour de moi, ne voit qu’une salle remplie de quinquagénaires pour les plus jeunes et de retraités pour la plupart. Ils sont là pour voir Christophe, celui qui a bercé leur jeunesse avec Aline, Les Marionnettes. En face se trouve donc la scène, séparée en trois parties : sur la droite le piano, au milieu un énorme paravent en fer et derrière les synthés, sur la gauche, les guitares.
Christophe arrive, pour le moins décontracté, loin de l’image du dandy gominé qu’il veut bien laisser paraître. Il commence par se placer derrière son piano, entonne Les Marionnettes et le show commence. Pour résumer : piano = tubes et chansons plus ou moins obscures; guitares = cf piano; synthés = chansons issues des 3 derniers albums.
Après le premier morceau, c’est à un Christophe taquin, joueur, auquel on a affaire ce soir, loin de l’image du gars incapable d’aligner deux mots dans les médias. Un Christophe plutôt drôle, mordant parfois (sur la télévision notamment, média auquel il participe pour faire plaisir à sa maison de disques, mais aussi sur les pseudo néo-chanteurs se prenant justement pour des ténors), qui explique à son public comment va se dérouler la soirée : en totale improvisation et au feeling. C’est intime et donc toujours différent. Il prévient également que vers la fin du spectacle il lui demandera quelles chansons, si possible obscures, il souhaite l’entendre jouer, sous-entendant par là que le spectacle sera surtout composé de tubes.
Pas de bol pour le public, la majorité du concert sera consacré au répertoire le moins connu de Christophe : hormis les quatre gros tubes (Les Marionnettes placée en début, Aline, Les Mots Bleus, Succès Fou) ce sera surtout des titres moins connus (Les Paradis Perdus, Un Peu Menteur) voire obscurs (Enzo, La Man, Comme Un Interdit, Comm’ Si La Terre Penchait, Magda, Mal Comme, Parle Lui De Moi, entre autres, tous issus des trois derniers albums) qui composeront la majeure partie du répertoire abordé ce soir. Christophe assure le show, entre réinterprétation étonnante de ses tubes (Señorita façon Brassens, qu’il reprendra deux chansons plus tard avec La Non-Demande En Mariage), dénuement de certains autres titres (Un Peu Menteur à la guitare, La Dolce Vita, Les Paradis Perdus, repris au piano vous collent un paquet de frissons…), le gars maîtrise parfaitement ses instruments, ses synthés notamment, faisant dire à certains spectateurs près de moi : « à un moment on aurait cru Jean-Michel Jarre derrière ses synthés« . Il cabotine aussi pas mal, voulant nous faire croire qu’il ne joue du piano que depuis un an et demi, s’amuse à rater ses intros et va même jusqu’à massacrer une étude de Schubert juste pour le plaisir d’avoir raison.
Autant le dire, il est parfaitement dans son élément sur scène : quand il ne déconne pas, il se la joue Corse-attitude sur les tubes (en gros lui se contente de frapper les touches du piano, le public fait le reste). Il bénéficie également d’une scénographie magnifique (quand il se met derrière son paravent, avec l’éclairage, on a juste l’impression de voir certains tableaux torturés de Bacon) et, malgré ses propos voulant nous prouver le contraire (à moins que ce ne soit pour siffler plus facilement son verre de vin), il a toujours ce timbre de voix unique qui a très peu changé en presque cinquante ans de carrière. Entre confidences (SCOOP : avant de venir sur Granville, il bossait sur son nouvel album qu’il espère sortir en avril ou en mai prochain mais plutôt avril que mai tout compte fait. Allez savoir pourquoi.) et railleries (notamment sur ce village qu’est Granville et faisant réagir les spectateurs au quart de tour), il se met le public dans la poche et finit même par remercier un des spectateurs, un touchant (et parfois agaçant, vous comprendrez juste après) infirme moteur cérébral, croisement entre Timmy et Jimmy de South Park, fan absolu du chanteur (il chantait toutes les paroles des chansons avec une avance de trois secondes sur Christophe et fort. Parfois très fort.) à qui il laissera le soin de chanter un des refrains lors des vrais-faux rappels à la demande du public (il jouera également le superbe Alcaline sur demande de votre serviteur et de quelques autres).
Toujours est-il que le spectacle est superbe, touchant (à peine gâché par les effluves nauséabondes d’un voisin septuagénaire en difficulté avec le contrôle de ses sphincters, apportant un fumet particulier sur certaines chansons), d’une durée plus longue que prévue (presque deux heures au lieu de l’heure et demie prévue) et parfaitement dosé entre chansons populaires et celles plus électros et expérimentales. Christophe semble y avoir pris grand plaisir, il ne sera pas avare en applaudissements envers le public Granvillais et celui-ci le lui rendra bien en faisant de même et de plus en plus fort entre chaque chansons. Au final, ce fut une belle soirée avec une belle acoustique et un Christophe ludique et peu avare en moments de grâce. S’il passe par chez vous, n’hésitez pas, foncez le voir.
L’album Intime est toujours disponible en différents formats (LP, CD) chez tous les disquaires de France.