[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]lors que le premier album de l’iconique Nico, Chelsea Girl a fêté ses 50 ans au mois d’octobre, retour sur un album désormais culte de la Femme fatale. Il semble pourtant évident que la démarche ne sera pas aisée, 50 ans, ça veut aussi dire que sans doute, tout a déjà été dit, approfondi, disséqué… néanmoins, Nico reste une énigme, un personnage mystérieux, impénétrable, réduite trop souvent à sa beauté, sa brève carrière au sein du Velvet Underground, ses relations amoureuses… des mois que je lis tout ce que je trouve sur elle, Christa Päffgen, cette jeune allemande aux multiples visages, mannequin, actrice, chanteuse, compositrice, poète… tout le monde connait Nico, mais Christa reste impénétrable, mystérieuse, inaccessible, une icône du 20ème siècle !
LES DÉBUTS ET LA RENCONTRE AVEC ANDY WARHOL
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]hrista Päffgen voit le jour le 16 octobre 1938 à Cologne, pendant la Seconde Guerre mondiale, où elle connaît une enfance malheureuse. Son père, soldat, meurt exécuté pour d’obscures raisons. Elle est élevée par sa mère Margarete Päffgen qui s’installe à Berlin, où elle est couturière dans un grand magasin. À l’âge de quinze ans, elle entame une carrière de mannequin et rencontre assez vite Herbert Tobias, célèbre photographe allemand spécialisé dans le noir et blanc, connu également pour avoir surnommé Christa, Nico, clin d’œil à son ancien amant, le réalisateur Nico Papatakis. Nico est née.
À la fin des années 50, elle est l’un des mannequins les plus en vue. Elle vit alors entre Paris et Londres, pose pour les plus grands magazines de mode… elle fait des apparitions dans quelques publicités, avant de décrocher un petit rôle en 1958 dans
La Tempête d’Alberto Lattuada et différents projets entre cinéma et documentaire.
En 1959, elle croise la route de Federico Fellini sur le tournage de La Dolce Vita. Séduit par la présence de Nico, il lui offre un rôle dans son film, son propre rôle. Elle décide alors de suivre des cours d’art dramatique à New York auprès du comédien américain Lee Strasberg, dans la célèbre Actors Studio.
C’est le début pour la jeune Nico d’une nouvelle vie dans le New York des années 60, berceau de toutes les subversions, audaces et créations fantasques. En 1963, elle joue dans le film Strip-Tease de Jacques Poitrenaud. Elle y tient le rôle principal, celui d’Ariane, une jeune allemande qui délaisse sa troupe de danse pour devenir stripteaseuse. C’est surtout l’occasion pour nous de la découvrir pour la première fois en tant que chanteuse, puisque le grand Serge Gainsbourg lui compose le titre Strip-Tease, avec Alain Goraguer, chanté aussi par la belle Juliette Gréco.
https://www.youtube.com/watch?v=CppWZAYgjks
À cette même époque – il est difficile de faire l’impasse sur cette histoire – Nico a une histoire avec le ténébreux Alain Delon. Ils se rencontrent sur le tournage du film Plein Soleil. Nico est amoureuse, mais la réciprocité n’est pas au rendez-vous… de cette union éphémère, naîtra Ari, enfant illégitime que son père ne reconnaîtra jamais, élevé par la propre mère de Delon, remariée Boulogne. L’acteur ne parlera plus jamais à sa mère suite à cet affront, et pourtant la ressemblance est plus que frappante. Fin de l’histoire, je ne rentrerai pas dans la polémique, mais cet enfant sera à jamais le point fixe de Nico au milieu d’une vie chaotique, entre drogues et création !
1964, Nico croise la route de Brian Jones des Rolling Stones, encore une étoile filante. Une amitié se tisse entre les deux, et il lui compose le titre I’m not saying, son premier single, signé sur le label Immediate d’Andrew Loog Oldham.
Grâce à Brian Jones, Nico rencontre enfin Andy Warhol, la suite marquera l’histoire de la musique et de la pop culture à jamais !
LA FACTORY, LE VELVET, NAISSANCE D’UN MYTHE
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]N[/mks_dropcap]ous ne pouvons parler de cette rencontre sans faire une brève présentation de la Factory de Warhol, je dis brève car je sens que cette chronique ne finira jamais. Nous partons d’un album, connu de tous, d’une icône, et voilà que les références deviennent foisonnantes, impressionnantes. Nous nous rendons compte que nous ne sommes pas en présence d’une personnalité évidente mais d’une énigme complexe qui a entretenu des rapports avec tout ce que cette époque a pu produire de marquant, de singulier, dans nos mémoires collectives, je referme la parenthèse.
Dois-je présenter Andy Warhol, je ne sais pas, je dirais juste que c’est un des plus grands artistes du 20ème siècle, fondateur du mouvement Pop Art, questionnant la consommation de masse, présentant l’art comme un produit jetable, éphémère. On se souviendra de ses représentations des soupes Campbell’s, entre autres. En 1964, il ouvre la Factory, une sorte d’ateliers d’artistes, un studio d’enregistrement pour son œuvre cinématographique, un lieu de rencontres pour son entourage mais surtout des artistes underground de tous bords. On ne compte plus les célébrités qui ont franchi les portes de cette fabrique pas comme les autres, métaphore de son œuvre, un endroit où l’on entre anonyme et d’où on ressort superstar selon ses mots.
Ici, il sera surtout question de son œuvre cinématographique, avec Paul Morrissey. Ainsi, je reviens à notre sujet. Nico fut une des muses de Warhol, elle a joué dans The Closet, Sunset, Imitation of Christ et surtout Chelsea Girls, le film qui a inspiré le titre de son premier album quelques mois plus tard. Réalisé en 1966, ce fut le premier succès commercial de Warhol. Ce film a été tourné à l’Hôtel Chelsea, autre lieu mythique de cette époque, et dans divers lieux de New-York. Filmé en écrans divisés, il alterne la couleur et le noir et blanc pendant près de 3h30.
Dans le même temps, Warhol travaille avec un jeune groupe en devenir The Velvet Underground, dans le cadre d’une performance, Exploding Plastic Inevitable, associant musique, lumière, film et danseurs, une forme d’expérience théâtrale avant-gardiste. Ainsi, il impose à Lou Reed, John Cale, Sterling Morrison et Maureen Tucker la présence de Nico. Et en 1967, l’album The Velvet Underground and Nico sort, avec sur la pochette la célèbre banane de Warhol. Nico pose sa voix grave et sépulcrale sur pas moins de quatre titres, dont le sublime I’ll be your mirror, pour n’en citer qu’un. Il est important de souligner qu’à l’époque, l’album fut un échec cuisant, mais ça c’est une autre histoire ! La rencontre durera le temps d’un disque, Lou Reed a toujours eu du mal à accepter la présence de Nico, entre guerre d’égo et relation amoureuse. Nico prend son envol et commence à travailler en solo.
CHELSEA GIRL : UN ALBUM DEVENU CLASSIQUE
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]eu après son départ des Velvet, Nico prend une résidence dans un café de New York. Ainsi débute sa carrière de chanteuse solo. Elle s’entoure de Tim Hardin, Jackson Browne, Leonard Cohen et bien évidemment de Lou Reed, John Cale et Sterling Morrison, une liste impressionnante d’artistes et le début de collaborations trois étoiles sur le projet d’un album.
En octobre 1967, l’album Chelsea Girl voit le jour chez Verve Records, le même label que le Velvet Underground. Enregistré au studio Mayfair Recordings Studios à Manhattan sous la direction du producteur Tom Wilson (Dylan, Zappa, Velvet…) et l’arrangeur Larry Fallon (Van Morrison, Jimmy Cliff, Rolling Stones…). Le titre est bien sûr une référence à l’Hôtel Chelsea et au film de Warhol, Chelsea Girls, sorti en 1966. Il inclut des compositions de Bob Dylan, Jackson Browne, Tim Hardin, et des membres du Velvet Underground, John Cale, Lou Reed et Sterling Morrison.
En visionnant l’excellent documentaire sur Nico, Nico Icon réalisé par Susanne Ofteringer en 1995 (disponible par ICI en version sous-titrée anglais, pour les curieux), Jackson Browne nous parle longuement du travail en studio et de Nico avec qui il a eu une brève relation au moment de l’enregistrement. Il a composé trois titres, The Fairest of the season, Somewhere there’s a feather, et le magnifique These Days, qui est pour ma part un sommet dans cet album. Morrissey et Warhol n’étaient jamais très loin, ils souhaitaient que Nico chante dans une cabine en plexiglas, un moyen selon eux de faire de la pop moderne surréaliste, mais Nico ne voulait pas travailler comme ça, Browne insiste sur le fait qu’elle était très appliquée… Elle a écrit des textes d’une profonde tristesse, comme en atteste la sombre mélancolie qui se dégage de la pochette de Chelsea Girl… Browne déclame une prose à la limite de la poésie pour nous parler d’elle et de son rapport à la musique, aux autres…
Oh, how sadly sound the songs, the queen must sing of dying. The prisoner upon her throne. Sad, superficial sign. If she could see her mirror now… she would be free of those who bow and scrape the ground before her feet.
But all my frozen words agree and say it’s time, to call back all the birds I’ve send to fly behind your castle walls. And I’m weary of the nights I’ve seen inside these empty halls.
[Oh, aussi tristement que sonnent les chansons, la reine doit chanter la mort. La prisonnière sur son trône. Triste, signe superficiel. Si elle pouvait voir son miroir maintenant … elle serait libre de ceux qui s’inclinent et grattent le sol devant ses pieds.
Mais tous mes mots gelés sont d’accord et disent qu’il est temps de rappeler tous les oiseaux que j’ai envoyés pour voler derrière les murs de votre château. Et je suis fatigué des nuits que j’ai vues dans ces salles vides.]
Musicalement, l’album est un mélange de folk et de pop baroque avec des arrangements simples, de la guitare, du clavier, mais pas de batterie ni de basse. Pour le reste, l’histoire raconte que Nico a détesté les arrangements de cordes et de flûtes ajoutés à son insu par Wilson et Fallon !
I still cannot listen to it, because everything I wanted for that record, they took it away. I asked for drums, they said no. I asked for more guitars, they said no. And I asked for simplicity, and they covered it in flutes! […] They added strings and – I didn’t like them, but I could live with them. But the flute ! The first time I heard the album, I cried and it was all because of the flute.
Je ne peux toujours pas l’écouter, parce que tout ce que je voulais pour ce disque, ils l’ont emporté, j’ai demandé de la batterie, ils ont dit non, j’ai demandé plus de guitares, ils ont dit non. Et j’ai demandé la simplicité, et ils l’ont couverte de flûte! […] Ils ont ajouté des cordes et je ne les aimais pas, mais je pouvais vivre avec elles. Mais la flûte ! La première fois que j’ai entendu l’album, j’ai pleuré et c’était à cause de la flûte.
Nico, une personnalité forte, elle aurait voulu être un homme, sans doute aurait-elle eu son mot à dire dans cette optique. Elle en aura l’occasion par la suite, grâce à John Cale qui l’a longuement accompagnée dans ses projets solo… Chelsea Girl est l’album de Nico où Cale a un rôle plus mineur. Il a écrit deux titres, Winter Song et Wrap Your Troubles in Dreams, autre merveille, et deux autres titres avec Reed, Morrison et Nico, Little Sister et It Was a Pleasure Then, morceau le moins accessible de l’album, avec ses 8 minutes – c’est pour moi celui qui sonne le plus Velvet.
https://www.youtube.com/watch?v=Syg7iA4F8A8
Le titre éponyme, Chelsea Girls, a été écrit par Lou Reed et Sterling Morrison. Il nous raconte l’histoire de cet hôtel si particulier, le Chelsea Hôtel et ses résidents hors normes, des artistes bohèmes, des toxicomanes, comme en témoignent les paroles entre relents SM, amphétamines, héroïne, les passes… un univers glauque, vivier de talents… une ballade dans leur quotidien, appuyée par la guitare, des cordes et bien sûr la flûte… !
Le titre qui suit, I’ll Keep It With Mine est signé Bob Dylan. Écrit en 1964, il fut d’abord enregistré par Judy Collins en 1965, avant qu’il ne l’offre à Nico. Il faudra attendre 1985 pour écouter la version de Dylan, dans le coffret Biograph, regroupant singles et raretés. Ce titre a depuis été repris de nombreuses fois… Fairport Convention, Marianne Faithful, Dean & Britta, Courtney Love… mélange de guitare folk et de cordes, le violon de Cale… douce merveille !
Le dernier morceau, Eulogy To Lenny Bruce, est un frisson en forme de fin dénuée de tout artifice, une voix pénétrante, reverbérée, saturée, sur une ligne de guitare claire, métronomique, la patte de Tim Hardin, dépouillement de l’âme.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]arler de cet album, c’est aussi se laisser aller à une écoute nourrie par le vécu de son auteur, Christa Päffgen, un parcours impressionnant car l’histoire ne s’arrête pas à Warhol, au Velvet, à une carrière de mannequin… non, Nico, c’est aussi six albums, une collaboration de longue haleine avec John Cale, avec qui elle a expérimenté, avec son harmonium, dans un délire héroïnomane… Nico, la douce blonde, Nico, le noir corbeau. En parallèle, elle rencontre le cinéaste Philippe Garrel, avec qui elle vivra une histoire pendant près de neuf ans. Elle jouera dans certains de ses films, dont La Cicatrice Intérieure en 1972. Elle en compose même la musique, Desert Shore, avec John Cale. Ce dernier dira d’elle dans son autobiographie, John Cale : une autobiographie, écrite avec l’aide de Victor Bockris :
Avant de faire The Marble Index (en 1969, son second album), je ne savais pas que je pouvais être arrangeur, mais j’ai eu la chance de trouver une très forte personnalité comme Nico qui m’a jeté contre les murs et forcé à rebondir.
Une femme forte, qui avait deux devises, Do or die/Marche ou crève, et Create to exist/Créer pour exister, et au vu de son parcours, elle a toujours su où elle allait, altérée par une dose massive de drogues…
Entre musique et cinéma, Nico vit entre Berlin, Paris, New York et Ibiza, où elle finira sa vie, le 18 juillet 1988 à l’âge de 49 ans, des suites d’une hémorragie cérébrale après une chute en vélo. Elle repose auprès de sa mère au cimetière des sans nom à Berlin-Grunewald.
Une vie surréaliste, une personnalité fascinante et secrète à la fois, et pourtant une icône, le visage d’une époque !
L’album de Nico, Chelsea Girl, est sorti en octobre 1967 chez Verve Records. Il vient de fêter ses cinquante ans, un quart de siècle… je le réécoute toujours avec plaisir et émotion et je vous invite à en faire tout autant !
Ben alors 50 ans c’est un demi siècle !
Mais avec les grands disques le temps passe vite .