[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]U[/mks_dropcap]n roman graphique d’aventure qui va et vient entre deux époques : l’Indépendance des États-Unis et la Seconde Guerre Mondiale. Tel est l’écrin de Cinq branches de coton noir, dessiné par Steve Cuzor et scénarisé par Yves Sente. Un décor historique au service d’un fil rouge et d’une question centrale : et si l’une des étoiles du premier drapeau américain avait été noire ?
C’est un récit de fiction forgé par le talent de raconteur qu’est Yves Sente. La BD, il connaît, lui qui fut directeur des éditions du Lombard jusqu’en 2011 avant de travailler, entre autres, avec André Juillard (Blake et Mortimer) et François Boucq (Le Janitor, Dargaud). C’est donc avec soin et professionnalisme qu’il nous embarque dans une aventure imaginée de toute pièce mais s’inscrivant dans un contexte historique documenté.
Dès le début de l’histoire, nous sommes plongés en mai 1944, sur une base alliée, au nord de Douvres. Trois militaires noirs américains y sont cantonnés à des tâches ingrates, se morfondant de ne pouvoir monter au front et se battre comme les Blancs. Leur quotidien est rythmé par des incartades parfois violentes avec d’autres soldats, illustration d’un racisme à peine voilé : difficile pour eux d’exister dans ce monde de brutes où la ségrégation raciale fait d’eux des hommes en marge de la société et en panne de destin.
Mais bientôt, par le biais de la sœur de l’un d’entre eux et d’un concours de circonstance, ils vont rejoindre la famille des « Monuments Men », du nom de ceux partis à la recherche des œuvres d’art volées par les Allemands.
En effet, c’est en tombant par hasard sur les écrits de sa tante, Angela Brown, que la jeune Johanna découvre un incroyable secret en forme d’hommage à la communauté noire. Flash-back : nous sommes en 1776, Angela travaille au service de Betsy Ross, une couturière à laquelle l’indépendantiste Georges Washington a confié le soin de réaliser le premier drapeau américain. Or dans ses mémoires, la domestique noire raconte avoir dissimulé une étoile à cinq branches de coton noir sous la couture de l’une des étoiles blanches du fameux drapeau.
Et si elle disait vrai ? Alors la face du monde pourrait-elle en être changée ? Histoire de refaire l’Histoire et de considérer que les fondements mêmes de cette Amérique sans partage sont à réinterpréter… Il n’en faut pas plus pour que trois Noirs se mobilisent en pleine dictature nazie pour retrouver le prototype, perdu quelque part en Europe, et tenter de le remettre au président Roosevelt.
Si le scénario de Sente est écrit au cordeau – puisque si tout part en « live » et que rien ne fonctionne comme l’avaient prévu les trois personnages, nous ne perdons rien de leur quête initiale – il faut également souligner la qualité de la mise en scène signée Cuzor. Dessinateur de Blackjack (Casterman) et du 3e tome de la série Quintett (Dupuis), celui-ci maîtrise parfaitement les enchaînements de situation.
[mks_col]
[/mks_one_third]
[mks_one_third]
[/mks_one_third]
[mks_one_third]
[/mks_one_third]
[/mks_col]
Par exemple, toute la partie de l’album qui se déroule dans les Ardennes enneigées est si virevoltante et convaincante qu’on feuillette les pages comme si, calé dans un fauteuil de cinéma, on avalait vingt-quatre images par seconde sans s’en rendre compte ! Et puis parfois, on s’arrête sur quelques détails simplement crayonnés, comme l’œil d’un sanglier effrayé vous fixant droit dans les yeux avant de prendre la fuite.
Quant à la mise en couleurs, elle n’est pas classique, dans le sens où les pages en noir et blanc succèdent à des images en deux couleurs. Cela crée parfois une ambiance irréelle, comme entre chien et loup, et cela participe à la qualité d’ensemble de l’ouvrage. À noter enfin qu’entre deux chapitres, il y a ces portraits d’hommes et de femmes Noirs, qu’on dirait dessinés au fusain. Ils apportent au récit une touche de respiration. Mais ils nous rappellent aussi, parce qu’ils sont empreints de réalisme et affichent un air grave, que le rêve de Martin Luther King (cité au début de la BD) reste encore et toujours d’actualité.