Le nouvel ouvrage de Claire Berest m’a posé un souci à sa lecture quand je pensais à l’éventuelle chronique qui allait suivre. L’épaisseur d’un cheveu est un drame. Un homme tue sa femme. L’autrice nous raconte les quelques jours qui précède ce meurtre comme une autopsie d’un couple, d’une relation qui déraille très fort entre un lundi et un jeudi matin.
Pourtant même si l’on sait dès le début que Violette, surnommée Vive, est morte, les premières pages de L’épaisseur d’un cheveu m’ont semblé prendre le ton d’une comédie loufoque, comme si Claire Berest se jouait de nous et proposait de rire avec elle de cet homme empesé et légèrement paranoïaque, de son épouse qui s’amuse à le contrarier. Certes, l’ambiance est pesante mais à aucun moment on ne sent que cet homme, Étienne s’apprête à commettre l’irréparable. Comme l’autrice le lui fait dire souvent, il forme avec son épouse un couple « solide ».
Puis petit à petit les choses commencent à s’envenimer. Pour un rien, pour une nouvelle coupe de cheveu qu’on n’a pas remarqué (serait-ce un clin d’œil à La moustache d’Emmanuel Carrère, livre auquel j’ai beaucoup pensé en lisant L’épaisseur d’un cheveu), pour une tradition qu’on ne respecte pas exceptionnellement, pour un souci au travail. Il faut dire que le mari Étienne est un poil tatillon avec certaines choses :
« Étienne ne dansait jamais, car il n’aimait pas ça, n’ayant jamais ressenti ce plaisir qui paraissait si largement partagé de s’animer comme toupies devenues folles à la moindre montée sonore; il vivant la musique en profondeur, mais il avait besoin de concentration pour cela, d’ascèse. Certainement pas de gesticulations. »
─ Claire Berest, L’épaisseur d’un cheveu
Claire Berest donne la parole à cet homme. Étienne. Qui revient avec douleur sur certains épisodes de sa vie. Qui analyse (trop sûrement) et qui n’arrive plus à réfléchir correctement.
« Comme s’ils étaient tous au courant de quelque chose que lui, Étienne, ignorait. Qu’il n’était pas affranchi, qu’il était exclu de la confidence. Comme à la face. C’était le plus terrible. De se sentir la victime d’une coalition qui ne disait pas son nom. Lui rappelant la cour d’école, quand les enfants populaires ont tranché à votre sujet, ont décidé à l’unanimité de votre insignifiance, et vous ont désigné paria, une croix invisible ceignant votre front. »
─ Claire Berest, L’épaisseur d’un cheveu
Alors oui, L’épaisseur d’un cheveu fait écho à La moustache de Carrère. Jusque dans la folie destructrice. Le côté loufoque et plutôt drôle des débuts disparaît complètement et on assiste effaré au délitement d’un couple et à la folie d’un homme.
Pages éprouvantes et terribles notamment quand Étienne, devant un policier très patient, s’en prend encore à son épouse qu’il a assassiné quelques heures plus tôt.
Au final L’épaisseur d’un cheveu est glaçant et ressemble à une autopsie, celle d’un couple somme toute banal dont l’homme va sombrer dans une folie meurtrière.