[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]B[/mks_dropcap]on, je ne voudrais pas passer pour le vieux réac de service mais … il y a trente ans, musicalement parlant, c’était quand même vachement mieux. Des chefs-d’œuvre, vous en aviez à la pelle, dans tous les styles. Pour preuve : Massive Attack publiait Blue Lines, Mercury Rev Yerself Is Steam, My Bloody Valentine Loveless, Slint Spiderland, Talk Talk Laughing Stock, Primal Scream Screamadelica, A Tribe Called Quest Low End Theory, etc, etc … et je ne vous présente là qu’une petite partie d’une liste bien plus conséquente.
Or, dans tout ce fatras de chef-d’œuvre, en 1991, sortait également Love’s Secret Domain, troisième album de Coil. Pour situer un peu les choses, Coil, en 1991, c’était l’underground de l’underground. Le groupe avait sorti en 1984 un premier album, Scatology, qui avait posé les bases de leur style (électro Indus poisseuse, sombre, déviante) suivi, en 1986 de Horse Rotorvator, reconnu à juste titre comme leur premier chef-d’œuvre. Disque exigeant, sombre, brassant multiples influences (musicales certes, dans lesquelles on retrouve, entre autres, Cohen, Tom Waits façon Freaks, mais également littéraires, cinématographiques, picturales), il aura permis à Coil d’acquérir un véritable succès d’estime, voire même un statut de groupe culte. Seulement, plutôt que de mettre à profit cette nouvelle notoriété en enchaînant avec un autre album, Christopherson et Balance vont, à contrario, mettre Coil entre parenthèses. Il faut dire qu’entre 1986 et 1990, un élément va changer la donne : l’émergence de l’acid house. Venu des États-Unis, ce mouvement, en totale opposition à la rigueur Thatchérienne sévissant à cette époque, va contaminer en premier lieu la scène underground Londonienne (en 1987) puis exploser plus tard lors de ce qu’on a dénommé le second summer of love (en référence à celui de 1967, aux États Unis, qui fit découvrir au monde la contre-culture hippie). Entre les clubs fermant allégrement au-delà de l’heure légale, l’émergence des rave parties, d’une musique électro hypnotique, hédoniste allant de pair avec la consommation effrénée de toxiques en tous genres (MDMA, ecstasy, LSD), le duo va plonger corps et âme dans ce mouvement. Au point que Balance y trouvera une sorte de transcendance, de libération spirituelle, forme de paganisme positif, complémentaire en quelque sorte de l’occultisme dans lequel baigne le groupe.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]e ce fait, l’orientation musicale de Coil va radicalement changer. Le groupe va s’ouvrir aux couleurs chamarrées des multiples drogues qu’il va ingérer sur plusieurs mois/années et partir, en apparence, dans tous les sens. En apparence seulement. Parce que si les toxiques vont libérer leur créativité, leur permettre d’expérimenter les collages les plus étranges, les associations les plus inattendues, l’essence, l’identité du groupe restera, quant à elle, inchangée. En somme, contrairement à certaines formations comme The Beloved, Happy Mondays, dont les disques découleront directement du summer of love, drogués jusqu’à l’os mais le sourire aux lèvres, Coil va s’emparer de l’acid house pour le tordre, le contraindre et au final le pervertir en lui insufflant une folie, une noirceur qu’on ne trouvera nulle part ailleurs. Si je peux me permettre une analogie, et dans un contexte au final assez similaire, Christopherson et Balance, aidés en cela par Otto Avery et Stephen Thrower, vont, avec Love’s Secret Domain, faire leur Sergent Pepper à eux. À savoir un disque à l’image de son premier morceau, Disco Hospital : un monstre de groove déviant fait d’éléments disparates assemblés par un Dr Frankenstein en pleine montée d’acides. Et d’une cohérence de malade.
Comme les Beatles, Coil ne s’imposera aucune limite : découpage, assemblage, réassemblage, collages sonores, variations sur les mêmes thèmes, collusions musicales, plongée dans l’air du temps, utilisation des technologies nouvelles mises à leur disposition, cut-up littéraire (Love’s Secret Domain, morceau final fait s’entrechoquer dans une hallucination collective la poésie de Balance avec celle de William Blake et le In Dreams de Roy Orbison), tout ici devient un champ d’expérimentations prétexte à former un puzzle psychédélique de très haute volée. Puzzle dans lequel tous les styles vont se télescoper dans un melting pot improbable (ambient, jazz, électro, flamenco, classique, pop, rock, musiques du monde, tout y passe), aidé en cela par des amis de longue date (Rose Mc Dowell, femme de Drew Mc Dowell, futur membre de Coil en 1994, Marc Almond, Annie Anxiety Bandez, Juan Ramirez) ou d’autres qui le deviendront (Danny Hyde, producteur; Steven Stapelton, musicien à l’origine de Nurse With Wound, artiste plasticien qui fera la couverture, plus que marquante, de LSD). Si l’on revient aux Beatles, leur puzzle est brillant, conciliant génie mélodique, prise de risque insensée et expérimentations folles dans une atmosphère festive (et asseyant par la même occasion une crédibilité en cours d’acquisition avec Revolver), celui de Coil le sera tout autant mais d’une façon bien plus malsaine. Le groupe prend sa bizarrerie à bras le corps, créé et joue avec le chaos (le bien nommé Chaostrophy), flirte avec l’extrême (Titan Arch), fait s’accorder dissonance et mélodie, assemble des univers diamétralement opposés (l’électro déviante et le flamenco sur Teenage Lightning 2, la house, le jazz et les chœurs presque liturgiques sur The Snow), laisse libre court à ses pulsions tribales (Where The Darkness) pour surprendre l’auditeur à chaque nouvelle écoute.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]t le fait est que, trente ans plus tard, l’effet de surprise semble inépuisable. Les propositions qu’offre LSD sont si nombreuses, si riches que certains artistes n’hésiteront pas à y puiser dedans sans vergogne, lui conférant par la même occasion un aspect visionnaire. Des exemples ? Sans Windowpane, pas d’Ultra de Depeche Mode. Pas sûr que le Dubnobasswithmyheadman d’Underworld aurait eu la même coloration, les mêmes pulsations poisseuses sans The Snow. Les choix, le parcours musical de Trent Reznor auraient-ils été les mêmes sans la radicalité, l’influence de Coil ? Et même Christopherson se permettra de recycler certaines de ses idées (notamment le travail sur la voix de Balance, samplée/hachée/concassée/recrachée) pour les appliquer aux immenses Musick To Play In The Dark.
Pour autant, si LSD est à bien des égards visionnaire, il est également un témoignage précis de son époque. Comme expliqué plus haut, il est la résultante du second summer of love, tout comme un autre grand disque pourri jusqu’à l’os par l’abus de toxiques : le Screamadelica de Primal Scream. Screamadelica est une odyssée psychédélique hédoniste, une ode au LSD, à l’ecstasy, plus perchée encore que le soleil, biberonnée aux Stones, au 13th Floor Elevators, à la soul, la dance, au dub, au jazz ou encore au rock. LSD en sera le versant négatif. Aussi perché certes mais quand la montée d’acides chez Primal Scream vous amène très haut, vers un état de transe radieux, quasi béat, celle de Coil vous plonge direct dans un état d’hypnose anxiogène (pour preuve, Further Back & Faster), voire dans une psyché bien perturbée (le démentiel Love’s Secret Domain qu’on jurerait sorti de l’esprit barré du Denis Hopper de Blue Velvet), en perte de repères, où l’organique sonne comme les machines et réciproquement.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]ais au-delà de l’aspect toxiques du disque, il y a chez LSD, une vitalité, une rage, un militantisme renvoyant directement à la situation sanitaire de la fin des 80’s. Petite contextualisation très schématique concernant le Royaume-Uni : début des années 80, apparition du SIDA, 1984 triomphe de Smalltown Boy et Why de Bronski Beat, ouvrant par la même occasion les yeux de millions de personnes sur la condition homosexuelle. Début des 90’s : progression du SIDA de par une inaction politique conservatrice qui associe SIDA et décadence (ben oui ma bonne dame : si y avait pas eu tous ces artisses homosexuels et jonkies, on aurait jamais eu de SIDA), stigmatisant la communauté LGBT. Il faudra toute la lucidité, la clairvoyance, le courage de cette communauté, et d’autres personnes bien évidemment, pour que les mentalités avancent. Mais avant de parvenir à ce résultat, il aura fallu faire front, s’associer, créer des organisations militantes, des campagnes. Christopherson et Balance ont, dès leur début, pris part à ces actions, affirmé et revendiqué leur identité sexuelle, se présentant même, en 1984, comme le seul groupe créé sur une relation homosexuelle (avec ce que ça implique de « chimie sexuelle masculine »). Évidemment, si sur le plan musical, on ne peut pas vraiment l’identifier à l’oreille, visuellement c’est autre chose. D’autant plus pour LSD. Le visuel en trompe l’œil de Stapleton en est l’illustration parfaite : naïf si on le regarde de loin ( une jolie tête de lion peinte sur des planches de bois) et très transgressif dès qu’on entre dans les détails. Un sexe bien turgescent, orné d’ailes angéliques, qui éjacule du sperme multicolore avec, pour base de ce climax, le nom du groupe (voilà donc pour l’identité sexuelle). Des pilules, des symboles ésotériques positifs (main de fatma, œil oudjat), une touche de provocation (étoile jaune/couronne d’épine), des pulsions de mort (squelette, l’épitaphe Out Of Light Cometh Darkness), tout ici concourt à faire de LSD une œuvre d’art à part entière, représentant parfaitement, de par sa provocation assumée, sa vitalité, son côté foutraque, le militantisme gay qui ne pouvait avoir lieu qu’à la fin des 80’s.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]B[/mks_dropcap]ref, à l’occasion de son trentième anniversaire, Infinite Frog réédite ce chef-d’œuvre pour la première fois en vinyle, triple, dans sa stricte totalité. Pour mémoire, en 1991, celui-ci ne contenait que 9 titres sur les 13 présents sur cd (manquaient à l’appel Teenage Lightning 1, Things Happens, Where even The Darkness et Lorca Not Orca), certains morceaux étaient tronqués soit de quelques secondes (Windowpane) soit de plusieurs minutes (The Snow) et le tout présenté dans un ordre différent. De ce fait, LSD apparaît maintenant complet et augmenté également de dix morceaux pour la plupart inédits (remixes, versions complètes, etc …). Si vous ajoutez à cela un excellent packaging (sur lequel DAIS aurait pu prendre exemple pour la réédition de Musick To Play In The Dark) et un très bon travail sur le son, vous obtenez une réédition absolument indispensable d’un album qui ne l’est pas moins.
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Coil – Love’s Secret Domain
Infinite Frog – 29 mars 2021
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