[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#B11108″]C[/mks_dropcap]ora aurait aimé vivre une autre vie, comme la plupart d’entre nous. Plus aventureuse, plus créative, différente… Elle s’est fait une raison, devenir adulte c’est aussi accepter que dans la vie « on ne peut pas faire tout ce qu’on veut ». Elle est donc chargée de marketing dans une boite d’assurances familiale, Borélia.
Son histoire, « les événements », nous sont racontés par un narrateur anonyme, un journaliste qui enquête avec minutie sur ces fragments de passé, qui mène des entretiens avec toutes les personnes qui pourraient l’aider à reconstituer cette période. Il se base aussi sur une série de carnets dans lesquels Cora avait consigné son quotidien durant ces trois fameuses années. Il est plutôt discret et s’efface la plupart du temps devant Cora mais de temps à autre, il fait irruption dans sa chronique en s’adressant directement au lecteur et en le conviant ainsi, comme un témoin privilégié de ses recherches, il crée un rapprochement, une intimité qui donnent encore plus de profondeur au récit.
La force de ce narrateur mystérieux est telle que la lecture devient immersion et que plus Cora se fait happer dans sa spirale, plus votre gorge se serre en attendant le drame. Parce que nous, lecteurs, nous sommes prévenus de son imminence. On ne sait pas comment ni quand mais nous savons depuis le début que la chute sera violente.
« Peut-être n’avez-vous rien suivi des débats de cette époque ; vous n’étiez peut-être pas encore nés ; ou ça ne vous intéressait pas ; ou bien vous vivez loin, trop loin de Paris pour connaître les ciels de traîne au-dessus des toits de zinc et la poisse des étés aux terrasses étroites des bistrots. Je ne peux pas savoir, et c’est l’une des beautés de la chose, qui lira cette chronique de la vie de Cora Salme – le récit de ces trois années qui ont changé sa vie et l’ont presque détruite. »
Cora reprend le travail après un congé maternité : depuis peu, Manon est entrée dans la vie du couple qu’elle forme avec Pierre. Seulement son cadre de travail change. La boîte est rachetée. Un audit est mis en place. Le siège déménage à la Défense. On parle restructuration et économies. On demande des têtes. Cette spirale infernale, celle dont le monde du travail accouche de plus en plus souvent et qui laisse les employés exsangues, on la connaît, ce n’est plus un tabou.
Mais ce que Vincent Message décrit avec beaucoup de justesse – ce sont les conséquences de cette spirale sur la vie entière de celle qui subit : le couple, l’amour, le désir, l’estime de soi, la remise en question permanente. Toutes les cartes sont rebattues. Et la force de ce roman est bien là, dans la finesse de l’analyse de cet effondrement qui prend son temps pour arriver – parce que Cora est une battante – mais qui est inévitable.
Il ne faut pas imaginer un récit sombre ou déprimant – d’abord parce que l’écriture de Vincent Message est lumineuse, toujours. Ensuite, grâce au narrateur-médiateur, vous vous sentirez toujours en confiance, c’est une présence rassurante. Le plus important : les éclairs de lumière qui traversent de temps en temps le récit et surtout cette superbe fin qui vous laisse hébété.
L’un de mes grands coups de cœur de cette rentrée !