Les conseils de Barz
Moi contre les Etats-Unis d’Amérique
Le grand retour de Paul Beatty après American Prophet. Dans un quartier défavorisé de Los Angeles dont le nom a totalement disparu, le narrateur va tenter de remettre un peu d’ordre et de redonner espoir à ses habitants. Il ira pour ce faire jusqu’à rétablir la ségrégation, entre autres méfaits qui lui seront reprochés devant la Cour Suprême des États-Unis. On y retrouve un ton acerbe, une langue survoltée et ultra maîtrisée, un swing d’enfer parsemé de punchlines à couper le souffle, le tout au service d’une fiction débridée qui emmène son lecteur loin de toute zone de confort. Politique et poétique, un immense roman.
Paul Beatty, Moi contre les États-Unis d’Amérique, Cambourakis, 2015.
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La carte des Mendelssohn
Diane Meur se prend de passion pour l’histoire de Moses Mendelssohn (1729-1789), philosophe surnommé le « Socrate allemand », et son petit fils Felix Mendelssohn (1809-1847), le compositeur. L’auteur cherche d’abord à comprendre qui était l’homme entre les deux génies, le fils de Moses et père de Felix, et aimerait broder un roman biographique autour de ce personnage fascinant, Abraham, banquier de son état. Or, rapidement elle se rend compte qu’il existe déjà une biographie très complète de cet homme. Que faire ? Abandonner ? Non, Diane Meur va entreprendre, jusqu’à la folie parfois, de dresser une carte de la famille Mendelssohn. Alternant passages de roman historique, de fresque familiale, de journal de l’écrivain au travail, toujours en questionnement (les conversations avec son éditrice sont réjouissantes), Diane Meur communique avant tout une passion, une fièvre même, de la recherche et de la curiosité, qui se muera en hymne à la diversité des cultures, des religions, des esprits. Un livre ludique et passionnant.
Diane Meur, La Carte des Mendelssohn, Sabine Wespieser, 2015.
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Le metteur en scène polonais
Un metteur en scène polonais célèbre dans le monde entier se met en tête d’adapter pour le théâtre l’ultime chef d’oeuvre d’un écrivain autrichien mort. Un directeur de théâtre français lui donne carte blanche. Toute la machine se met en branle pour préparer une rentrée théâtrale d’exception, on ne lésine pas sur le budget et on choisit une actrice française très en vue. Or, à chaque fois qu’il ouvre le livre de l’écrivain autrichien, le metteur en scène polonais ne reconnaît aucune scène : le roman change tout le temps. La folie le guette alors et il va entraîner toute sa troupe au désastre.
Antoine Mouton signe un premier roman délicieux, parodiant dans son écriture le style hypnotique et circulaire de Thomas Bernhard, ainsi que son humour vachard. Chaque personnage étant désigné uniquement par sa fonction, libre au lecteur d’y voir qui il veut derrière. Il est à noter qu’Antoine Mouton est libraire dans un théâtre et que la description du monde du spectacle qu’il fait dans ce livre, bien que foutraque est excessive, est bien moins loin de la réalité que ce que l’on pourrait en penser.
Antoine Mouton, Le Metteur en scène polonais, Christian Bourgois, 2015.
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Achab (séquelles)
Pierre Senges reprend là où Melville avait laissé son capitaine Achab, mais en lui octroyant une seconde vie aux États-Unis au début du XXème siècle. Sans doute l’un des romans les plus audacieux et maîtrisés de cette rentrée. Lire la chronique complète ici.
Pierre Senges, Achab (séquelles), Verticales, 2015.
Les Conseils de Gringo Pimento
Le printemps des barbares
Preising, jeune homme héritier d’un grande fortune, est en maison de repos. Il se promène et décide de raconter une de ses aventures à son compagnon.
En Tunisie, il passe quelques jours de vacances dans un hôtel de luxe où il croise plusieurs traders anglais venus pour assister au mariage de l’un des leurs.
De scènes loufoques à propos de dromadaires, de personnages tunisien offrant ses filles en mariage au héros, de confidences de la mère du jeune marié anglais à Preising, nous sentons tout au long du texte l’imminence d’une catastrophe.
Celle-ci arrive sous la forme d’un krach boursier en Angleterre, qui détruit la finance anglaise. Les cartes bancaires sont inutilisables et les traders anglais sont « pris au piège » en Tunisie.
A partir de là, tout explose. Comment ces jeunes hommes et femmes habitués au luxe, à dépenser sans compter, habitués à être obéis au doigt et à l’oeil vont-ils réagir. Qui parmi eux sera suffisamment fort pour aider son groupe?
Jonas Lüscher fait de son premier roman un melting pot extraordinaire. Une comédie de moeurs loufoque couplée à une étude sociologique des milieux d’affaires, avec un clin d’oeil colonialiste appuyé, une ironie mordante sur tout cela et pour conclure, une psychologie sur nos faiblesses humaines en cas de crise mais aussi dans nos comportements habituels.
Le printemps des barbares de Jonas Lüscher, traduit de l’allemand (Suisse) par Tatjana Marwinski, aux éditions Autrement, parution le 2 septembre.
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L’interlocutrice
Odette, la mère de l’auteur, atteinte de la maladie d’Alzheimer, lit, beaucoup, des romans policiers, de la collection du Masque. Elle lit et elle annote. Parle d’elle, de ses souffrances, de ses peurs. Elle dialogue avec les auteurs, les personnages, répond à des phrases du livre, fait un parallèle avec elle.
De cela, sa fille ne sait rien de son vivant. A son décès, elle découvre 23 oeuvres pleines d’annotations. De ces Simenon ou Exbrayat plein de l’écriture de sa mère, Peigné nous donne à lire quelques pages qui apparaissent reproduites dans son livre.
C’est cela que Geneviève Peigné et sa mère nous racontent dans ce petit livre poignant et terriblement humain.
Une plongée dans la maladie et les affres du mal être. Un hommage aussi à la lecture, quant celle-ci peut prendre le relais des mots manquants et permettre de s’exprimer autrement.
Un tout petit livre de 116 pages, mais un grand livre douloureux.
L’interlocutrice de Geneviève Peigné, aux éditions Le Nouvel Attila, sorti le 17 septembre.
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Le rêve du retour
Ersamo Aragon souffre. Exilé au Mexique et rêvant de revenir dans son pays, le Salvador, il occupe son temps à faire le journaliste mais surtout à consulter des médecins. Son premier docteur est retourné au Salvador (il rêve de l’y rejoindre). Un nouveau lui propose l’hypnose. A son réveil, il ne se souvient de rien. A-t-il parlé de sa femme, qu’il trompe et qu’elle trompe aussi, de son pays, des forces révolutionnaires?
La crise de nerfs n’est jamais loin avec Erasmo. Il passe son temps à se poser des questions, à hésiter. Rester, partir, changer de médecin, guérir, démissionner, quitter sa femme et boire surtout, pour trouver ou éviter de trouver des réponses.
Horacio Castellanos Moya nous gratifie d’un roman que nous hésitons à trouver drôle tellement son personnage est parfois consternant. Mais il emporte tout par son flot de paroles. Et finalement la guerre, quasi terminée au Salvador, qu’il voudrait rejoindre, se joue plutôt dans ses monologues et à l’intérieur de sa tête.
Le rêve du retour de Horacio Castellanos Moya, traduit de l’espagnol par René Solis, aux éditions Métailié, sorti le 3 septembre.
Les Conseils de Delphine
Faits d’hiver
Quelque part dans une ville, un immeuble est sur le point d’exploser et le destin d’une poignée d’hommes et de femmes va bientôt basculer. Sur les paliers, à tous les étages, Alice Moine prête sa voix aux habitants, les faisant se croiser, s’observer, se saluer sans se douter une minute de ce que la vie leur réserve.
Avec finesse, délicatesse, parfois humour, souvent mélancolie, elle nous livre un premier roman plutôt réussi et fort agréable à lire …
Faits d’hiver, Alice Moine, Editions KERO, 2015
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La pire. Personne. Au monde.
Laissez moi vous présenter Raymond Gunt, la quarantaine, une ex-femme qui le méprise et un parcours professionnel des plus chaotiques. Lorsqu’il est engagé sur le tournage d’une émission de télé-réalité en plein Océan Pacifique, il pense se la couler douce. Mais c’est sans compter sur un nouvel assistant ramassé dans la rue qui va lui voler la vedette et la série de catastrophe qui va s’abattre sur lui pour notre plus grand plaisir.
Douglas Coupland signe un des romans les plus drôles de cette rentrée. Diaboliquement décalé !
La pire. Personne. Au monde. Douglas Coupland, Editions Au Diable Vauvert, 2015
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D’après une histoire vraie
Comment se remettre à l’écriture quand on a remporté un succès ? Delphine la narratrice a du mal à recommencer à écrire et pense que ce blocage est lié à sa rencontre avec une mystérieuse femme nommée L. qui va, petit à petit, s’immiscer dans sa vie jusqu’à prendre le pouvoir… Découpé en trois parties intitulées « Séduction, Dépression et Trahison » le dernier roman de Delphine de Vigan flirte avec les codes du thriller psychologique et interroge sur la création et la part de Vrai dans un roman. Un roman magistral, sûrement le plus abouti de l’auteur de No et Moi et de Rien ne s’oppose à la nuit.
D’après une histoire vraie, Delphine de Vigan, Editions JC Lattes, Août 2015
Les Conseils de Barriga
L’orage
A kinshasa, la ville est en ébullition car un forum économique pour la première fois va se tenir. C’est l’occasion d’inviter des investisseurs économiques étrangers et de montrer que le continent a tourné la page des violences et des soubresauts qui ont émaillés pendant des décennies. Or la moiteur du climat semble annoncer un orage. Mais c’est dans la rue qu’il va éclater, une révolte vient de s’amorcer, un jeune enfant a croisé une patrouille militaire, un chaos urbain inarrêtable va alors influencer le sort des protagonistes de ce très beau roman chorale…
L’orage, Clara Arnaud, éditions Gaïa, août 2015
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La Déchirure de l’eau
James a perdu son père et il reste persuadé qu’il est mort pour défendre son pays, l’Irlande, auréolé de l’image d’un héros. Dans ce roman d’apprentissage, notre jeune garçon va se construire une mythologie de la figure de son père absent, peut être éloignée de la vérité, découvrir l’amour, fuir l’ambiance pesante du nouveau compagnon de sa mère qui a sombré dans l’alcoolisme. Dans un style sec et littéraire, notre auteur nous brosse le portrait d’un garçon à l’orée de l’âge adulte face à la complexité de la vie.
La Déchirure de l’eau, John Lynch éditions Castor Astral, août 2015.
Courir après les ombres
Paul Deville est un négociant en ressources naturelles sur le continent africain, il gère les investissements d’une grande entreprise chinoise qui pille sans vergogne. Mais Paul est habité par un souffle épique, une quête personnelle, une aventure livresque, il part à la recherche d’Arthur Rimbaud sur les traces d’un trésor, un hypothétique manuscrit de ce génie de la poésie qui a révolutionné le genre. Après Le Caillou publié au Tripode, un roman absurde, loufoque, poétique, ce nouvel opus nous donne un livre ancré dans une réalité concrète proche de nous, abordant des thèmes d’actualité qui nous touchent.
Courir après les ombres de Sigolène Vinson, Editions Plon, août 2015.
Les Conseils de Velda
Vernon Subutex 1 et 2
Petite entorse à la vague de la rentrée littéraire pour revenir sur le dernier livre de Virginie Despentes :
Le grand retour de Virginie Despentes, avec les deux premiers volumes d’une histoire bien noire, bien ironique et bien pessimiste. Vernon Subutex, ex-disquaire devenu chômeur, perd celui qui le tirait d’affaire à chaque fois qu’il chutait. Le grand Alex Leach, star du rock black, ou plutôt « Bounty » comme il disait, richissime, célébrissime, est mort, au grand dam de ses nombreux fans et groupies. Au grand dam de Vernon surtout. Comment va-t-il s’en sortir sans son mécène attitré ? Comment va-t-il survivre à la ruine ? Ses amis, quels amis ? Virginie Despentes raconte une drôle d’histoire, mi-drame, mi-fresque sociale, brocarde nos travers d’hier et d’aujourd’hui, les jeunes, les vieux, les entre-deux âges, les bobos, les paumés, les pauvres, les marginaux, les rangés, le passé, le présent. Elle nous assène quelques bonnes vieilles vérités qui font mal sur la façon dont notre monde tourne : l’argent, le sexe, la came, la musique, la politique, tout y passe. Et puis aussi l’amour, la vie de couple, l’image. Redoutable, implacable, mais aussi drôle et follement inventive, Virginie Despentes nous offre là deux romans qu’on a peine à quitter. On attend avec impatience le volume 3.
Virginie Despentes, Vernon Subutex 1 et 2, Grasset, 2014 et 2015
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Crocs
Dans la belle collection « Territori » co-éditée par Ecorce et La Manufacture de livres, c’est bien simple, il n’y a rien à jeter. Et surtout la proposition est audacieuse en ce qu’elle offre des textes difficiles, exigeants, forts. Focus sur Crocs, de Patrick K. Dewdney. Un homme en fuite dans la nature, avec son chien-chaman. Il a faim, froid, soif, mal. Il dort dans un lit de feuilles humides, pourries. Que fuit-il? Où va-t-il ? D’où vient-il ? Un livre d’une grande violence, fascinant et poétique.
Patrick K. Dewdney, Crocs, collection Territori, Ecorce / La Manufacture de livres, juin 2015
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Clouer l’ouest
Dans la même collection, Clouer l’ouest, de Séverine Chevalier, raconte le retour d’un enfant prodigue. Ou plutôt celui d’un homme perdu, joueur incorrigible, qui a quitté sa famille sans se retourner, bien des années auparavant. Ce jour-là, Karl retrouve Angèle, sa petite enfant muette, son adorable sauvageonne. Angèle, qui vit avec la famille de Karl, une famille grandement malade, comme va nous le dévoiler Séverine Chevalier à son rythme, haché, âpre. Un très beau texte, une vision de la nature sans complaisance et sans lyrisme, une vision de l’humain à la fois bouleversante et terrifiante.
Séverine Chevalier, Clouer l’ouest, collection Territori, Ecorce / La Manufacture de livres, juin 2015
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Là où vont les morts
Liam McIlvanney a de qui tenir : il est le fils du grand William McIlvanney, père de ce qu’on appelle volontiers le « tartan noir », c’est-à-dire le roman policier écossais. Avec Là où vont les morts, Liam McIlvanney se montre le digne successeur de son illustre père. Mais il révèle aussi un talent très personnel: il sait équilibrer une intrigue criminelle bien construite, riche en rebondissements et en remises en question, avec une peinture sans concession mais pleine d’amour de sa ville, Glasgow, et de son pays d’origine. Lutte sans merci entre journalistes et parrains de la mafia locale, collusion entre hommes politiques et milieu, McIlvanney raconte l’histoire contemporaine avec talent et lucidité.
Liam McIlvanney, Là où vont les morts, traduit de l’anglais (Ecosse) par David Fauquemberg, éditions Métailié
Les Conseils de Yan
Monarques
De ce qui commence par une correspondance presque fortuite entre un jeune communiste français et un artiste mexicain dans la seconde moitié des années 1930, Juan Hernández Luna et Sébastien Rutés font un grand roman d’aventures. Porté par le souffle d’une Histoire en mouvement Monarques s’aventure volontiers du côté de la poésie et de l’onirisme sans jamais lâcher le suspense et l’humour qui portent ce récit commencé à quatre mains et que Sébastien Rutés a dû achever seul après la mort de son ami. On trouve là-dedans, pêle-mêle mais avec une formidable cohérence d’ensemble, du catch, des espions, des femmes fatales, des escargots, le Front Populaire, la guerre, Blanche Neige, Walt Disney, huit nains et un colosse acromégale. C’est beau, redoutablement construit et époustouflant.
Sébastien Rutés et Juan Hernández Luna, Monarques, Albin Michel.
Torpedo Juice
Ils sont de retour. Serge A. Storms et son complice revenu d’entre les morts, Coleman, écument les Keys à la recherche de la femme avec laquelle Serge pourrait enfin se marier. Rien de plus simple pour y arriver : « J’ai découpé les îles en plusieurs zones, dit Serge en feuilletant son bloc-notes, comme ils font pour recenser les daims en danger d’extinction. Si la Femme idéale se trouve à l’intérieur de ce quadrillage, elle ne m’échappera pas. » Entre trafiquants de drogues, tueurs en série, embouteillages, flics à la ramasse et escrocs en tous genres, Tim Dorsey continue de dynamiter l’american way of life avec son héros de sociopathe dont on rêverait d’être l’ami. Une lecture indispensable pour se remettre du baume au coeur en cette rentrée.
Tim Dorsey, Torpedo Juice, traduit par Jean Pêcheux, Rivages/Thriller.
Les Conseils de Audrey
Camille, mon envolée
Écrire pour rester debout, pour survivre et accepter l’inacceptable, pour continuer à avancer, pour faire vivre l’enfant disparu et dépasser le réel. C’est ce que fait Sophie Daull à travers cette lettre pleine de vie à sa fille Camille, 16 ans, emportée une veille de Noël.
Ce roman est un beau roman d’amour, un texte touchant de résistance à l’insupportable. Merci Sophie Daull.
Camille, mon envolée, Sophie Daull, Éditions Philippe Rey, 20 août 2015.
Bonne lecture !