Putain de putain de merde.
Saleté de 10 janvier.
Et de 11 aussi.
Si j’avais pu prévoir ce qui allait se passer ce jour-là, en aucun cas je ne me serais précipité le 08 janvier dernier quand on a demandé qui voulait chroniquer le Blackstar de Bowie. Autant, il y a près d’une semaine, je m’attaquais, presque innocemment, à son dernier disque, autant maintenant je m’attaque au mythe. Et ce d’autant plus que, dans un élan de totale inconscience, je m’étais mis en tête de faire mon rebelle, nuancer un peu les dithyrambes reçues par cet album. La chronique devait se présenter à peu près comme ça :
Je vais être ici pour cette chronique quelque peu direct, je passerai donc les présentations d’usage, nul besoin ici de dire qui est David Bowie, quel a été son apport dans la musique actuelle tout au long des quatre décennies qui l’ont vues officier.
Sans faire de véritable chronique, je vais juste me permettre de faire une petite réflexion sur l’aura de Bowie au travers son nouvel album Blackstar et ce par rapport à ce qui m’est arrivé il y a peu sur un réseau social où j’ai eu l’outrecuidance d’affirmer que je préférais le nouvel album de Bill Baird à celui de Bowie. D’abord, on m’a gentiment fait comprendre qu’il fallait être un tant soit peu raisonnable puis, après avoir argumenté (pas de trop les arguments hein, je réflexionne pas tant que ça non plus, ça fait mal au crâne), on m’a doucement fait comprendre que préférer un artiste moins reconnu que Bowie en ce moment s’apparentait à du snobisme.
Ok, Blackstar est un incontournable en ce début d’année, mais de là à dire que tous ceux qui ne l’apprécient pas sont des dégénérés auditifs qui devraient prendre rendez-vous chez un neurologue des oreilles pour comprendre où leur raisonnement cloche, il y a un pas que je ne me permettrai pas de franchir. Tout ça pour dire : peut-on critiquer Blackstar sans passer pour un extra-terrestre ? Apparemment, non. Parce qu’à part Le Figaro, qui le trouve un peu fadasse, on ne voit fleurir sur tous les journaux, blogs, webzines et autres supports connus et inconnus, que des éloges, pas une seule critique négative, rien, l’unanimité, partout. Personne pour dire qu’il n’est pas terrible ? Sans vouloir faire mon parano, c’est suspect. Parce qu’à l’écoute de Blackstar, on peut accuser Bowie de recycler et s’auto-recycler à de nombreuses reprises : allez savoir pourquoi mais Tis A Pity me fait irrémédiablement penser à Modern Love, I Can’t Give semble sortir de Heroes (The Secret Life), Sue d’Earthling et Bowie de faire son Scott Walker, Lazarus a des faux airs de Drowning Man des Cure. On est en droit de trouver également Girl Loves Me, vraiment lourd, le saxo de Dollar Days très kitsch, presque échappé du Careless Whisper, ou encore Blackstar long, soporifique et maniéré, se dire que sa construction en trois parties n’a rien d’original, que d’autres l’ont fait avant lui (Pulp – This Is Hardcore, Radiohead – Paranoïd Androïd). Se gausser enfin sur la grosse campagne de com’ et ses effets d’annonce (notamment l’emploi de musiciens de jazz pour l’enregistrement de l’album ou encore le retour de l’inspiration à son plus haut niveau depuis au moins Station To Station ou même le fait qu’il ait été influencé par le To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar, genre je suis toujours à la pointe, à l’affût de la nouveauté…). Et tiens, en parlant de recyclage, qu’il s’auto-cite passe encore, mais qu’il utilise pour son nouvel album des morceaux déjà composés il y a un an ( Tis A Pity et Sue) ou écrits pour une pièce de théâtre (Lazarus, prévu pour une « suite » de The Man Who Fell To Earth), avouons-le, ce n’est pas spécialement engageant. Bref, des points négatifs, n’importe qui peut en trouver à propos de Blackstar, autant dans le fond que dans la forme.
Pourtant, malgré une seconde face plus faible que la première, Blackstar impressionne. Parce que, malgré les défauts évoqués ci-dessus (bien que, dans un élan psychotique certain, je ne sois pas entièrement d’accord avec moi-même), Bowie parvient à remporter la mise grâce à sa capacité à s’adapter à toutes les situations et à vulgariser les courants undergrounds ou élitistes. Voyez, il recrute des jazzeux pour Blackstar ; résultat ? ça ne ressemble en rien à du Jazz. Ou alors revu, défiguré et mis au pas par Bowie. Bon, d’accord, pas tout à fait, le saxo, free et pertinent sur Tis A Pity, aurait parfois eu besoin d’être muselé ; mais, hormis ce détail, ce dont il parvient à tirer de sa section rythmique est tout bonnement ahurissant, notamment sur Sue et Tis A Pity où les morceaux se resserrent, prennent de l’épaisseur et deviennent plus intenses. Grâce à elle, Blackstar se mue de monolithe anthracite, aux sonorités froides, compact, d’une cohérence assez stupéfiante, en un disque qui peu à peu se fissure, se réchauffe et finit par laisser entrer une lumière douce et nostalgique.
Voilà donc ce que j’aurai écrit si la nouvelle de son décès n’était pas venue tout foutre en l’air et éclairer Blackstar d’une toute autre façon. Parce qu’après coup, se dire qu’il l’a composé avec, en guest-(black)star, un putain de crabe, ça bouleverse autrement la donne. De nouvel album il passe à ultime et permet d’admirer non seulement son travail artistique et musical mais également le génial gestionnaire qu’il était. Parce que si Bowie a contrôlé sa carrière de A à Z, joué les transformistes, précédé l’air du temps et sorti de grands disques bien allumés ou à côté de la plaque, il semble avoir soigné sa sortie encore mieux que le reste. En commençant par museler l’information : Blackout total auprès de ceux qui l’entourent (ou le côtoient au boulot) sur son état de santé, rien ne filtrera jusqu’à son décès. En se concentrant ensuite sur la réalisation de son album et enfin en faisant en sorte que Blackstar soit un disque où il boucle absolument tout, fait son inventaire et referme la porte sur une note d’espoir et d’apaisement. Et ce sur tous les plans :
Si on jette un œil plus attentif aux paroles, celles-ci prennent une toute autre tournure une fois l’annonce de sa mort passée : d’absconses et ésotériques lors des premières écoutes, elles deviennent bien plus compréhensibles même si elles restent par moment très abstraites (Girl Loves Me et son langage mi Nadsat mi Polari). Comment ne pas voir en effet dans les paroles de Blackstar sa propre oraison funèbre, l’évocation de ses premières années de carrière dans Lazarus (ou de sa mort sur le dernier couplet, c’est au choix), de la maladie sur Tis A Pity (le premier couplet). Si on pousse le raisonnement plus loin, Blackstar peut même s’appréhender comme la lecture d’un journal sur les différentes étapes du deuil développées par Kubler Ross. 7 étapes, 7 chansons, allant du choc de l’annonce, la torpeur l’accompagnant (Blackstar) jusqu’à l’acceptation en passant par la colère (Tis A Pity), le marchandage (Sue) ou la reconstruction (Dollar Days et son ambivalent I’m Dying To/Too) entre autres.
Musicalement aussi Blackstar referme une boucle, clôt un cycle : sur quel instrument Bowie a appris la musique ? Le saxophone. Quel genre, par sa liberté d’expression, traverse toute sa discographie sans qu’il ne s’y soit jamais vraiment frotté jusque là ? Le jazz. A qui fait-il appel pour enregistrer Blackstar, la crème des musiciens de jazz de ces dernières années. D’accord la relecture est plutôt pop/rock/experimental façon Bowie mais la ligne directrice du disque reste le jazz. Premier et dernier producteur ? Visconti (je ne compte volontairement pas Mike Vernon, producteur du premier album qui ne reflète pas vraiment le Bowie à venir).
Graphiquement : idem. Sur toute sa discographie, Blackstar est le seul album où il n’apparaît pas . J’aurais été tenté d’ajouter ni son nom mais le pictogramme sous l’étoile semble indiquer Bowie. Regardez les dernières images de son ultime clip, Lazarus. Quel costume porte-t-il ? Celui visible sur la couverture arrière de la réédition cd de Station To Station, celle où il dessine l’arbre de vie de la Kabbale. Fin du cycle, Bowie s’efface, ferme le placard et rejoint l’univers. Et enfin, pour parfaire sa sortie, tous ceux qui ont le vinyle entre les mains pourront vous le dire : le soin apporté à l’objet est juste remarquable.
Mais Blackstar, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’est pas qu’un testament. Il n’est pas que cet album noir, dur, étrange, par moment très sec ; pas seulement la somme de toute l’œuvre de Bowie résumée en un disque (d’Earthling à Let’s Dance, de Station To Station à The Next Day en passant par Low, les citations incluses dans Blackstar sont impressionnantes), il est aussi une ouverture sur la vie avec les lumineux Dollar Days et surtout I Can’t Give Everything Away, morceau d’adieu poignant et apaisé (notamment sur le second verset), dernière pulsion de vie lucide voire malicieuse par instant.
Maintenant, je me retrouve comme un con. Car, comme souvent chez Bowie, il a le talent de transformer ses défauts en qualités. Voyez, je m’apprêtais à lui tailler un tout petit costard histoire de dire que l’icône n’est pas intouchable et je me retrouve à en faire l’éloge. Blackstar n’a peut-être pas l’évidence de Hunky Dory, ni l’aspect visionnaire de sa trilogie berlinoise, encore moins l’élégance de Station To Station, il n’est pas exempt de défauts, il est imparfait mais sonne comme son disque le plus accompli, le plus humain et le plus apaisé jusque là. Le disque de toute une vie serait-on tenté de dire.
j’ai envie de dire « petit c… » mais bon 🙂 Chronique un poil superficielle à mon goût.
Chronique …. de soi-même en train de changer de posture dès que le vent se lève. Facile à zapper.
Ha ha ha ha ha ha !!!!
Je trouve au contraire cette chronique plutôt franche et réussie. Je n’ai pas écouté le disque encore, je m’y refuse tant que je n’aurai pas le vinyle. Je l’attends.
Néanmoins, en donner son avis sans savoir qu’il s’agissait d’une oeuvre « préhume » me semble courageux. Revoir son point de vue à l’aune de ce qu’il est finalement, vraiment, et le dire, je trouve que c’est plutôt la preuve qu’il n’est justement pas un « petit c… », mais tout le contraire. Il n’y a que les c… qui ne changent pas d’avis !
Pour finir, les deux avis se valent : qu’il trouve des défauts à cette musique et trouve la démarche brillante, c’est son droit. Et pis c’est tout.
Ha ha ha ha ha ha !!!! Courageux, mais oui ….
C’était pour dire quoi en fait ? Comparer la chanson éponyme à un titre de Radiohead, c’est juste un peu… enfin il faut oser quoi.
j’ai employé (sans aller au bout de sa verbalisation) l’expression « petit c » par goût de la provocation. A aucun moment je ne mettais en doute les qualités intellectuelles du rédacteur ce cet article. A titre personnel, je pense qu’il est préférable d’attendre un peu avant de se lancer dans la chronique d’une oeuvre aussi importante.
Bonjour volfoni49. Nous sommes heureux que vous ne soyez pas allé au bout de votre expression. Sur Addict nous ne sommes pas vraiment des adeptes de la grossièreté. Continuez à débattre dans le respect, à l’instar de vos dernières interventions, c’est comme cela que nous voyons les échanges. Merci et bonne continuation
« petit c.. » est davantage une espièglerie. Un trait d’humour (un poil inélégant, ça je peux en débattre). En aucun cas une grossièreté. Stop à la censure.
Oui mais pourquoi pas ?
Blackstar a la même structure que Paranoïd androïd, et pourquoi pas ?
Ça n’a rien d’indignation d’autant qu’OK Computer est un immense album… Et que si Bowie est une pierre angulaire et devrait être une source d’inspiration pour tout bon musicien (rock ou pas), c’est aussi un « vampire », découvreur et mainstreamateur de sons, qui a su piocher dans son contemporain pour créer…
Il l’avoue lui-même, non ?
Comme quoi… Il est parfois bon de ne pas se précipiter pour écrire un article…
J’avais precommandé Blackstar et j’étais assez déroutée à la première écoute, au caractère sombre de l’album, au son de sa voix…
Désarmée, mais pas critique, il fallait que je laisse reposer ma première écoute… Ayant entendu des paroles comme « I’m in Heaven now; I have nothing to lose; I’m free; I’m dying too »
Ça ne ressemblait pas à David Bowie pour moi… Hormis le tempo de « Sound and Vision » dans « Tis a Pity She Was a Whore », le son d’harmonica dans « I can’t give everything away » sonnant comme dans « new Kids in Town », autre titre de son album « Low »…
Je n’ai pas eu le temps de réécouter Blackstar avant d’apprendre la terrible nouvelle du décès de David.
Comme beaucoup d’autres personnes, je comprends mieux son album à présent.
Quel courage, quelle lucidité d’esprit, quelle humilité, quelle dignité il a eu de ne révéler sa maladie à personne et de composer cet album.
George Harrison avait composé « The Art of Dying », David Bowie l’a mis en scène.
Il n’a pas créé un nouveau personnage comme on aurait pu être tenté de le penser, un nouveau Ziggy qui lui aurait à nouveau collé à la peau et qu’il aurait dû tuer…
Cette fois-ci, c’est de Monsieur David Bowie dont il est question dans cet album, je ne dirais pas qu’il y fait le bilan de sa vie… , non il nous dit que cette fois c’est le cancer qui lui colle à la peau et que malheureusement il n’a pu tuer, mais qui l’a tué !
Chapeau bas Monsieur Bowie et merci pour cet opus qui est malheureusement le dernier.
Merci pour votre musique !
Reposez en paix
Merci Heleln pour cette analyse très complémentaire de ce que j’ai pu écrire dans ma chronique, excellent ce rappel à Harrison et The Art Of Dying.
Pietro : je vois en vous un brillant analyste et un fin orateur. De plus l’argumentaire développé lors de vos interventions laisse entrevoir une finesse d’esprit qui ne me permettra pas de débattre avec vous. Bref, je m’incline.
Volfoni : je ne vais pas reprendre ma chronique et l’expliquer point par point mais je trouve dommage que vous vous arrêtiez sur certains détails. Oui j’ai osé comparer Bowie à Radiohead (les cons ça ose tout… avec le pseudo que vous avez choisi je suppose que vous connaissez la suite) mais je le dis dans un certain contexte. Autrement je reviens sur la superficialité de ma chronique : de fait, je le concède, je suis superficiel. Mais l’oeuvre de Bowie est si importante que quiconque s’attaquera à une chronique d’un de ses disques sera obligatoirement superficiel, à moins de vouloir écrire un bouquin sur sa vie (et encore).
HAN!!!!
Tu remercies tout le monde sauf moi !
Ah bah bravo, merci , vive la France !
D’où mon commentaire. Abordé et traité BlackStar, ultime production d’un des plus grands noms de l’histoire de la musique populaire au même rang que le premier album du premier groupe anglais qui passe me semble un poil risqué. Cela étant vous vous en êtes sortie avec les honneurs.
« Les anciens ne s’étaient pas contentés de faire du cygne un chantre merveilleux ; seul entre tous les oiseaux, qui frémissent à l’aspect de leur destruction, il chantait encore au moment de son agonie, et préludait par des sons harmonieux à son dernier soupir. C’était, disaient-ils, près d’expirer et faisant à la vie un adieu triste et tendre, que le cygne rendait ces accents si doux et si touchants, et qui, pareils à un léger et douloureux murmure, d’une voix basse, plaintive et lugubre, formaient son chant funèbre. » Buffon
Heu en même temps le « nouvel album » de Bill Baird c’est la première partie d’une compile qui regroupe pour la plupart des morceaux déjà entendus sur ses derniers albums… donc à moins de découvrir, rien de renversant… le résultat n’est d’ailleurs pas à la hauteur desdits albums avec leurs enchainements ultra-fluides et cohérents.
Très bon le Bowie sinon, et chouette chronique.