Bien qu’il diversifie ses activités en écrivant désormais des romans, Fabcaro récidive avec cette nouvelle bande dessinée. Premièrement, il retrouve son compère Fabrice Erre, avec qui il avait déjà signé l’excellent Mars et auprès duquel il officie chaque semaine dans l’édito du journal de Spirou. Surtout, il récidive dans une veine qu’on lui connaît bien depuis Les Carnets du Pérou, celle du voyage fantasmé qui dérape joyeusement. À la poursuite du trésor de Décalécatán s’inscrit dans cette double filiation, quelque part entre la parodie d’aventure et la chronique du quotidien vue à travers un prisme délicieusement absurde.
Le point de départ est simplissime. Les Fabrice, doubles non-officiels de Fabcaro et Fabrice Erre, s’apprêtent à prendre l’avion pour se rendre dans un festival de bande dessinée à Niort. Problème, ils se trompent de vol et se rendent à Mexico où ils sont confondus avec un duo d’éminents spécialistes des civilisations mayas. Ceux-ci sont attendus de pied ferme pour lutter contre la déforestation générée par la compagnie Palmatec. Et évidemment, l’ensemble va être rempli de gags façon Zaï Zaï Zaï Zaï (mais le format ici se rapproche davantage d’un récit classique) et de quiproquos.


Le dessin joue un rôle essentiel dans ce grand écart permanent. Le trait précis et volontairement rétro donne au récit des airs de grande aventure à la Tintin, ce qui rend le décalage avec les dialogues encore plus savoureux. L’univers visuel fourmille de détails et les personnages évoluent dans des décors soignés qui contrastent merveilleusement avec la banalité de leurs préoccupations. Cette opposition entre l’épique et le trivial est l’un des moteurs les plus réjouissants de la BD.
Ce qui frappe surtout, c’est la fluidité du duo. On sent la complicité entre les deux auteurs, déjà éprouvée sur Mars, mais ici encore plus rodée. Chaque case devient un petit laboratoire d’absurde où l’on passe d’un gag visuel à une réflexion métaphysique en deux bulles à peine. On sourira par exemple lorsque l’un des compères propose de s’équiper comme l’un des personnages de Spielberg pour aller dans la jungle, et que l’autre revient déguisé en E.T. dans la case suivante.


Qu’importe le réalisme, ce qui compte ici, c’est le rire arraché à chaque page. Un rire parfois honteux, comme lorsque les Fabrice (se) prêtent volontairement à leurs doubles des velléités misogynes pour mieux les dénoncer. Les compères sont patauds, lâches, hypocrites et autocentrés, mais on finit par éprouver de la compassion à leur égard.
Et derrière les rires, les Fabrice jouent comme toujours avec nos imaginaires. Ils questionnent le mythe de l’aventure, l’idée même de quête, pour mieux mettre en lumière la façon dont nous fantasmons le lointain. Comme dans Carnets du Pérou, il ne s’agit pas de raconter un vrai voyage, mais d’explorer ce qui se passe dans nos têtes quand on se projette dans un ailleurs. Le trésor de Décalécatán, finalement, est peut-être moins une promesse qu’un prétexte. Et naturellement, les calembours ne sont jamais loin, particulièrement lorsqu’ils découvriront un xylophone. On vous épargne la chute pour maintenir le suspense et le sourire intacts.


Cette bande dessinée se lit donc à plusieurs niveaux. Les enfants y verront une aventure drôle et décalée, les adultes savoureront le second degré et les clins d’œil à la pop culture disséminés partout. Fabcaro et Fabrice Erre nous offrent une comédie d’aventure qui réussit l’exploit d’être à la fois parfaitement maîtrisée et délicieusement imprévisible. En attendant un tome 2 comme le suggère la fin du récit ?



