Comment entamer une chronique destinée à vous faire aimer le dernier album d’Editors ?
Solution numéro 1 : Le name-dropping
Je vous brosse le portrait concis du groupe en n’oubliant pas de le mettre en exergue une appartenance à une scène ignominieusement suiveuse mais fichtrement calibrée pour capter les foules. Le conglomérat contemporain pompeusement apparenté au vieux mouvement dualiste post punk / cold wave.
Vaste fumisterie qui voudrait mettre dans le même sac nos intéressés avec Interpol ou White Lies. Comme si chaque formation était interchangeable et elle-même l’émanation des cendres des Joy Division et consorts. A croire que dès qu’une basse tente de tutoyer les claquements jouissifs du charmant Hooky, à chaque fois qu’un chant vient singer la voix ténébreuse du sieur Ian Curtis ou qu’une batterie décalque les roulements frénétiques de Stephen Morris, on (pronom imbécile qui qualifie celui qui l’emploie) se doit systématiquement de crier au génie et à la réincarnation du célèbre pendu et ses sbires.
Il faut tout de même un peu plus d’étoffe dans les tuyaux pour oser s’époumoner en démonstrations si enthousiastes. Les plus attentifs auront noté de ma part l’omission de taille concernant le charisme ostréicole de l’ami Barney. Cette petite incartade piteusement cynique me vaudra à n’en pas douter les foudres de mes amis camés à la dernière épreuve balancée par New Order.
Ce petit tacle ironique me permet astucieusement de faire le parallèle entre les riffs binaires de The Back Room, premier album comparable à ce sommet d’urgence radicale que fut An Ideal For Living et les nappes synthétiques qui viennent ligaturer In Dream, dernier de la liste qui pourrait se ranger pas très loin des dernières compositions de Depeche Mode voir pire, de nos mancuniennes icônes survivantes …
Voilà, je suis donc tombé moi aussi dans le panneau des références trop faciles, le réflexe maladroit du name-dropping à outrance. Que l’on me torture en guise de châtiment avec l’intégrale de Stromae histoire de me faire bien comprendre qu’à ce jeu-là autant prétendre que le jeune belge est le digne héritier du grand Jacques. Non, il faut cesser de croire ce que l’on vous raconte et surtout lorsqu’il s’agit de filiations artistiques galvaudées… Pour une mise en bouche attractive dont l’objectif est d’inciter le lecteur à se rendre chez son disquaire préféré, je vais finalement chercher un plan B.
Solution numéro 2 : le coup du phœnix
Vous dire en introduction « J’ai été dépité à la sortie de The Weight of Love en 2013. On ne peut être déçu que par ceux que l’on a aimés. J’avais été conquis par les trois premières galettes au point de suivre les natifs de Birmingham sur les routes où se dressent mur d’enceintes et décibels à foison. La descente dans ce mauvais trip fut rude. Un seul titre à sauver de ce naufrage ».
C’est finalement honnête comme approche car du coup c’est le moyen de rebondir sur le mythe du phœnix. C’est toujours plus sympathique que de parler d’album en demi-teinte. Le placer dans une chronologie discographique en parlant d’un retour de flammes… Ouais, je pressens que là aussi avec un album dont les guitares tranchantes ont pris des vacances à long terme je risque franchement d’avoir le service SAV d’Addict Culture sur le dos. Au pire c’est la sentence de ma cheffe redoutée qui me pend au nez.
Solution numéro 3 : l’emballage
Je débute d’emblée avec la pochette. Il faut dire qu’elle est franchement saisissante. La couverture, c’est la vitrine sous blister qui donne le ton d’une œuvre : « Un dégradé en noir et blanc qui se détache dans ce cône de lumière qui inonde le personnage central »… ça me permet de bifurquer sur une piste métaphorique : « Ce rayon qui aura éclairé les cinq membres, isolés de tout pour concevoir des rêves synthpop. On les imagine alors plonger dans les machines, les choses prenant vie dans une sorte de chaos expérimental et pop » … De toute manière ça ne risque pas de faire plus de dégâts en termes d’achalandage que la moquette murale version lie de vin du dernier Beach House.
Vous n’êtes pas plus convaincu que ça ?
Solution numéro 4 : l’envoyé spécial
Je tente l’interview avec quelques questions bien senties du genre :
« Alors les gars, on peut parler de l’album de la maturité ? »
« Vous n’avez pas peur de tomber dans le phénomène de U2isation (copyright Vznt) ? »
Selon la réponse, la faculté de rebondir sur la guerre des tranchées entre le clan des productions mainstream et le gang pro underground.
« In Dreams a fuité sur internet, vous en pensez quoi du téléchargement en ligne ? »
« C’est quoi votre album de chevet en ce moment ? »
« Tom, ça fait quoi de porter le même nom que Robert Smith ? » Ok je laisse tomber aussi …
Solution numéro 5 : l’usage des oreilles
J’attends que le soleil se couche, la lune est rousse en ce soir de Septembre, je glisse alors le CD dans le lecteur (je fais semblant du moins car en 2015, l’air est aussi à la dématérialisation des échanges). C’est tout simplement le ressenti direct des murmures qui m’anime, le contact palpable avec le son. Faire fi de toute considération parasitaire et vous décrire tant bien que mal les dix titres qui s’enchaînent. In Dream peut alors me bercer. En voici la substance :
C’est en réalité un sacré paquet cadeau avec du ruban dans tous les sens. Les fanfreluches amusent les enfants mais ce qui compte c’est tout de même le présent. No Harm sur le dessus de la pile était déjà dans ma bécane depuis quelques mois. L’indice donné que rien ne se fera sans les synthétiseurs. In This Light and on This Evening (2009) avait déjà exploré des contrées interstellaires. La musique descriptive s’y autorisait des envolées cinématographiques. En 2015 les anglais reprennent les mêmes instruments mais la production est beaucoup plus artisanale et de facto n’en devient que plus évidente. Sur l’ouverture on se demande même si Editors n’a pas fusionné avec Archive dont on ne présente plus le talent en matière de digestion des structures autant rock qu’électro progressives. Le rabibochage est donc en marche !
Hélas, les trois titres qui suivront auront l’effet d’un soufflé qui se dégonfle. Nous savons que dans ce cas précis, il est très peu fréquent de retrouver un peu de tenu. Tom Smith abuse des facéties vocales. On le sait capable d’amplitude diverses entre les graves et les aigus. Cependant, on regrette la mise en relief de la forme au détriment du fond. Ce genre de prouesse n’est guère utile que dans les télé-crochets du Samedi soir où le jury et le public s’extasient sur une note qui gravite au-delà de l’imaginable. Personnellement, je ne vous cacherais pas que ce genre de concours me rebute totalement. Certains pourront dire que pour le cas d’espèce ça ne jure pas. Certes, mais ça s’entend plus que ça ne s’écoute, la faute à quelques choix dans les effets pas franchement du meilleur goût. Si j’étais rude et que j’enlevais ma muselière, j’irais jusqu’à dire que nous rasons de très près l’écart impardonnable.
Heureusement, nous allons assister à un petit miracle.
Pour redonner du jus, rien de tel qu’un tube efficace taillé pour la bande FM, bien dansant et sans aucun complexe. Life is a Fear au-delà de son intitulé fataliste y arrive pleinement.
Les clubs de zumba pourront s’en servir pour sculpter abdos et autres muscles. C’est frais, sexy, efficace et vivifiant! Nous avons pris la DeLorean DMC-12 pour retrouver les sensations des 80’s. Le refrain est forgé par une voix de tête qui donne alors l’impression d’un dédoublement narré jadis par Robert Louis Stevenson.
Petite innovation de taille sur la piste 6. La belle surprise d’y retrouver en guise de featuring de luxe la captivante Rachel Goswell. Ne le répétez pas à ma chère et tendre épouse mais j’ai toujours eu un petit faible pour la chanteuse et guitariste de Slowdive. Casting idéal pour ce titre The Law qui, à mon sens sera le plus abouti et intéressant du nouvel opus. L’humeur éthérée y est pour beaucoup. Un regain de style rehaussé par un final spatial !
Les grains s’écoulent dans le sablier, Our Love débarque alors sans préavis. La new wave la plus dansante reprend ses droits et c’est d’une voix de fausset à faire pâlir Jimmy Somerville que le leader s’exécute. Sans enchainement (ou presque) Editors replonge dans les limbes avant de clôturer cette cinquième œuvre sur l’héroïsme émotionnel de Marching Orders. Si on ne peut rabrouer ce sentiment d’avoir en face de soi l’évangélique déclinaison de la grandiloquence propre à un certain Bono, j’avoue m’en foutre un peu car le plaisir est redoutable. Une power pop dans sa plus grande démesure romanesque. A l’infini, j’entends encore les chœurs qui scandent inlassablement « Tryna give more, Tryna give more » Je me joins alors à eux, me fondant dans la masse avant de disparaitre.
L’album est disponible dans tous les points de vente habituels depuis le 2 Octobre 2015 (en version simple ou double).
Le groupe sera également le 13 Novembre prochain à Strasbourg, le 15 Novembre à Caluire-et-Cuire puis les 14 et 15 Décembre à Marseille et Cenon (les autres dates françaises et belges sont SOLD OUT)
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