[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#d91c74″]C[/mks_dropcap]’est le genre de succès empoisonné qui vous colle à la peau, le premier jet qui affole le tableau de marque et abandonne à son auteur une suite avec très peu d’options. Prendre une retraite artistique au fond d’une grotte ou tenter de raviver les braises sans avoir la certitude de pouvoir enflammer à nouveau les foules.
En 1996, Mark Oliver Everett troquait son projet solo sous le pseudo E pour lancer l’aventure EELS.
Beautiful Freak, bijou taillé dans une inventive mélancolie, parvenait à se hisser au sommet d’une reconnaissance qui dépassait les frontières du microcosme habituel de l’indie-pop. Novocaine For The Soul en était l’ouverture emblématique, titre toujours adulé au rayon des succulences de l’époque.
Difficile d’enchaîner après une telle sensation. Le contexte personnel n’aida pas à appuyer sur l’accélérateur commercial. Le talentueux songwriter affrontait la douleur de drames familiaux avec l’anxiogène Electro-Shock Blues, disque d’une dimension plus complexe dans son agencement mais surtout d’une humeur terriblement pesante.
Dès lors, l’effacement relatif du projet trouva quelques rebonds faussement aérés. À ce titre, Daisies Of The Galaxy fut le contrepoids évident de son prédécesseur. Dans la foulée, affublé d’une épaisse barbe, le californien revenait à des fondamentaux plus incisifs avec l’aide de John Parish, histoire de délivrer un Souljacker plein de mordant. En 2005, DreamWorks Records fermait boutique et dans un quasi mimétisme, son tout premier poulain disparaissait de mes radars malgré une nouvelle signature et quelques œuvres assez inégales (mais surtout trop rapidement oubliées).
Que devais-je donc attendre d’un douzième effort ?
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#d91c74″]À[/mks_dropcap] ma grande et heureuse surprise, je découvre en cette année 2018 un album riche, varié et maitrisé de bout en bout. Si vous lisez attentivement le livret de l’ardent The Deconstruction, il vous sera possible de sourire à cette annotation préfigurant l’inventaire discographique : « Other EELS CDs you may or may not enjoy ». Dans l’art de décomplexer les auditeurs quant à l’appréhension d’une œuvre, j’ai rarement vu aussi assumé ! Ce n’est sans doute pas un hasard car la nouvelle production pourrait sembler comme un exercice destiné à résumer plus de vingt ans de carrière.
C’est sans doute ce qui explique l’impression première d’être convié dans une auberge espagnole où les riffs espiègles viennent dépérir subitement pour laisser place à des ballades plus introverties. Il y a pourtant une certaine cohérence dans les enchaînements, à l’image de quelques ponts instrumentaux venant embellir les transitions.
L’introduction acoustique de la première piste nous mène à un gimmick de cordes et permet d’infiltrer un obsédant refrain dans nos têtes. The Deconstruction (le titre qui donne son nom à l’œuvre) met en éveil nos sens pour permettre au « burtonien » Bone Dry de brûler à l’aide de sa géniale dynamique, ses chocs électriques, mais surtout une voix éraillée qui prend les allures d’une narration débarquée d’un polar décapant. L’effet est immédiat et les onomatopées sémillantes !
À l’inverse, Premonition sonne comme une berceuse consciente de l’ambivalence au sein des contrastes intérieurs : I had a premonition / It’s all gonna be fine / You can kill or be killed / but the sun’s gonna shine. S’il y a un fil conducteur qui traverse cette déconstruction c’est bien celui qui joue avec un fatalisme non esquivé. Il n’y a plus de peur sans espoir, inversement plus de soleil sans la crainte de voir renaître des heures sombres. EELS s’en accommode avec ses notes et ses mots, quitte à passer du coq à l’âne malgré un réel effort de globalisation des effets.
J’y retiens autant l’enjoué Today Is The Day que la majestueuse orchestration The Epiphany qui glisse sur l’édifice avec sa touche de sincérité primordiale. La qualité du compositeur-jongleur est à son summum et embarque sur son passage quelques reflux du passé, ces petites fabrications légères capables de se mesurer aux géants.
Il y a les airs blues, modernes et élégants de Be Hurt dont les arrangements finement pesés accentuent la sensation de bien-être procurée par cette musique identifiable grâce à son timbre atypique.
Pour finir, on rentrera dans le rang avec You Are The Shining Light, condensé survolté aux claquements exquis qui vient briser la sinistrose de ses effets psyché-rock. Un autre aller-retour entre les tempéraments pour une valse qui souffle le chaud et le froid de la plus belle des manières.
En bref, notre pompier-pyromane semble plutôt aller bien : Le monde est devenu fou. Mais si on la cherche bien, il y a toujours de la beauté à y trouver. Parfois, on n’a même pas besoin de la chercher. Sinon, il faut essayer de la créer soi-même. Et puis il y a des fois où il faut détruire quelque chose pour trouver de la beauté à l’intérieur.