Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre. Le clip « burtonien » de Désert annonçait un premier frisson et je rêvais secrètement de me métamorphoser en coccinelle. La jeune compositrice et interprète Émilie Simon venait de me charmer, me transportant au cœur de son univers onirique, sa science de la musique électronique teintée d’une pop magnifiée par un timbre de voix enfantin. Nous étions au début du troisième millénaire et l’influence des nombreux métissages sonores servait encore de pilier aux plus succulentes pièces montées musicales (avec cerise sur le gâteau, ce duo aux allures martiales en compagnie du trop discret Perry Blake).
La titulaire d’un DEA en musicologie (passée d’ailleurs dans les couloirs du prestigieux laboratoire de l’IRCAM) poursuivait son parcours artistique de la plus immersive des manières et plus particulièrement à travers la confection de la bande originale de La Marche de l’Empereur, long métrage de Luc Jacquet dont la bande plongée viscéralement dans la froideur cristalline allait être primée par le cinéma français (César de la meilleur musique écrite pour un film en 2005), alors que l’adaptation pour le marché américain, bien trop lisse, se privait du talent de la Montpelliéraine d’origine (bien que raflant un Oscar au titre de meilleur documentaire).
Auréolée malgré tout d’une renommée soudaine, Émilie Simon planchait avec la même abnégation pour l’élaboration de ce qui reste à ce jour encore sa plus belle œuvre. 2006 vit ainsi la consécration de Végétal, recueil offrant aux auditeurs impressionnés un condensé de sensations où se mêlent les expérimentations les plus verdoyantes, au profit d’une thématique finement inspirée et expirée. Autant vous dire que lorsque mes camarades et moi-même découvrions pour la première fois l’intéressée sur la scène du festival des Eurockéennes (accompagnée magistralement par La Sinfonietta de Belfort) un ange passait près du lac et nos cœurs palpitaient comme jamais. Ce souvenir ému explique amplement ma sympathie sans borne pour la musicienne et mon intérêt porté à son encontre pour chacune de ses sorties.
En 2008, certaines mauvaises langues ergotaient vis-à-vis de The Big Machine… Moins singulier, trop anglophone, lorgnant trop du côté de Kate Bush… Ok mais à mon sens, la magie y suintait toujours. Pour Franky Knight, comment ne pas succomber à l’hommage poignant rendu au compagnon tragiquement disparu ? C’est sans doute en exorcisant la douleur de cette période de deuil qu’Émilie Simon opéra un changement d’humeur. Mue le bien nommé vint alors explorer des délivrances plus directes et surtout marquées par des compositions bien plus enjouées que par le passé, la contrebalance étant de divulguer un peu moins de profondeur pour davantage de romantisme assumé.
Suivront de manière plus confidentielle un EP (Mars On Earth 2020), la réécriture modernisée de l’album homonyme fêtant ses deux décennies (ES), un conte musical servant de base à un court métrage (PHOENIX), sans oublier The Jesus Rolls, spin off du cultissime The Big Lebowski (de et avec l’improbable John Turturro).
Nous sentions alors poindre le désir chez Émilie Simon d’échafauder une suite à son parcours bien plus intime. C’est donc dix ans après son précédent LP que cette dernière nous a dévoilé les contours de son nouveau projet baptisé Polaris.
Il y a sans nul doute un bénéfice à revêtir la matière de filtres masquant le trouble. C’est en effet un atout que de pouvoir transcender les moments sombres pour en extraire finalement toute une rayonnante déclinaison. C’est selon moi ce qui fait de ce nouvel album un compagnon pour le moins attachant. Émilie Simon y expose de nouveaux ressentis, sources de ricochets à vocation universaliste (pour ne pas dire intergalactique).
Avec Polaris, Lily Mercier incarne un personnage en quête de sens. L’éblouissement est ainsi mis en exergue à travers le rêve de cette inaccessible étoile. Il convient de songer que les pages des plus belles épopées regorgent d’héroïnes dont l’espoir fini par être récompensé.
Musicalement parlant, les convives naviguent entre des pulsations électro gratifiées d’une robuste mise en relief, des battements dont l’efficacité se niche le plus souvent au bonheur de mélodies enflammées. Par moment, je n’ai pu m’empêcher d’y entrevoir les ondes du trop peu connu Bambi Galaxy. A croire que Florent Marchet comme Émilie Simon et tant d’autres grands enfants, auront relu nostalgiquement la prose d’Antoine de Saint-Exupéry.
Totalement raccord avec les premières heures du printemps, Polaris affiche, sans l’ombre d’une gêne, des prétentions aiguisées. Des brillances robotisées de Soleil en passant par les reliures ultra modernes de Forteresse… La maîtresse des lieux jongle et joue avec la matière organique, affirmant hautement un savoir-faire ne serait-ce qu’à la lueur de prédispositions narratives, tantôt épiques (Tiger, North Star) tantôt bien plus sensibles (Eau Salée, Ton Visage).
L’expérience est donc ici pleinement au rendez-vous sans obérer la part de fraicheur vivifiante qui se dégage de cette nouvelle aventure, une odyssée poétique et cosmique qui ajoute du baume et des paillettes dans notre musette. Nous en avions tant besoin !
Crédit photo : David Roemer
Vegetal – 29 Mars 2024