[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]ersonnalité complexe et controversée, le producteur et rappeur Kanye West ne laisse quasiment personne indifférent, amateurs comme détracteurs. Il serait pourtant dommage de ne s’intéresser qu’à ses frasques ultra-médiatisées, qui font passer la terrible fratrie Gallagher du groupe Oasis pour d’aimables moines contemplatifs, tant son talent et son aura en font l’une des figures les plus décisives et emblématiques de la musique du XXIème siècle balbutiant, comme il n’en arrive qu’une poignée par génération.
Que ce soit par le biais de son travail pour d’autres artistes tels le poids lourd Jay-Z, le bouillant Talib Kweli ou la chanteuse Estelle (avec qui il confectionnera l’énorme tube American Boy) ou par celui de ses propres disques, Kanye West dessine les contours d’une nouvelle formule pop, viscéralement moderne et aventureuse, remodelant à son avantage les codes du hip hop en y intégrant des éléments électroniques d’une âpreté inédite pour le genre, ou en s’inspirant de sources aussi diverses et improbables que le krautrock hypnotique des allemands de CAN, l’euphorie discoïde des français de Daft Punk ou les rêveries hantées du britannique Aphex Twin.
Mais peu importe les influences éclectiques et les emprunts gonflés du bonhomme, l’art de Kanye West n’appartient au final qu’à lui seul, et s’avère, pour le meilleur comme le pire, indissociable de son caractère volontiers atrabilaire et incontrôlable. Plus sa musique deviendra abrasive et difficile, tout en continuant à faire pleuvoir les disques de platine sur son créateur, plus le respect de ses aînés se manifestera de façon tangible, comme lorsque le mythique Lou Reed, pourtant avare de compliments envers la concurrence, prendra sa plus belle plume pour tresser des lauriers à l’intransigeant Yeezus de 2013, album-charnière qui marquera la fin d’un cycle et le paroxysme d’une audace formelle exemplaire.
Si le parcours de celui que certains hésitent encore à qualifier de génie absolu ou de cinglé incurable (pourquoi choisir ?) s’est avéré plus erratique ces dernières années, entre sorties publiques provocantes (voire incompréhensibles) et disques inachevés en perpétuelle ré-actualisation, force est de reconnaître que, grâce à (ou à cause de) son éclatante mégalomanie, Kanye West est devenu aussi incontournable qu’imprévisible : ainsi, alors qu’on le croyait disparu de la circulation suite à un énième pétage de plombs à la fin de l’année 2016, le voilà qui revient par la grande porte en ce printemps 2018 avec pas moins de cinq albums portant sa signature, entre ceux produits pour le rappeur Pusha T, le vétéran NaS ou la chanteuse Teyana Taylor, et ceux qu’il a conçu en son nom seul ou avec son ancien protégé Kid Cudi.
Détail pas si anodin : les sorties de ces disques sont échelonnées, au rythme d’une par semaine, sur un calendrier réduit très précisément centré sur la date d’anniversaire de leur maître d’oeuvre, c’est-à-dire aujourd’hui même.
Farceur généreux autant qu’incorrigible narcissique, voilà toute la dualité de ce personnage hors normes, dont la créativité décidément foisonnante et sans limites devrait pourtant rester, dans l’idéal, le principal motif de fascination à son égard.