[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]ans les Mémorables, Lidia Jorge se penchait sur le Portugal et sa révolution des Œillets. Avec Estuaire, elle reprend une histoire portugaise mais vue à travers le prisme d’une famille au cœur d’une Europe bureaucratique.
Cette famille, c’est celle d’Edmundo Galeano, le personnage principal. Jeune homme qui revient au pays avec une main estropiée, suite à une mission humanitaire. Loin d’être abattu, il a pour projet d’écrire un grand roman. Cela occupera une grande partie d’Estuaire, cette création constamment en mouvement qu’Edmundo imagine, idéalise et sur laquelle il se casse les dents. Jorge nous propose une belle mise en abyme. Elle écrit et nous lisons les pensées d’Edmundo à propos de ce roman à venir. À travers ces scènes, Jorge peut nous donner à voir sa passion pour la littérature et notamment Homère dont Edmundo veut absolument s’inspirer. Ce sont de belles pages notamment quand une tante, importante pour l’histoire, intervient pour aider notre apprenti écrivain, lui indiquant la direction à suivre.
Mais malheureusement pour Edmundo, le Portugal est en crise et sa famille aussi. Tous doivent vivre dans l’appartement familial et la promiscuité peut poser problème. Et surtout, il y a la tante dont nous parlions plus haut. Muette et quasi immobile, certains voudraient bien se débarrasser d’elle pour avoir plus de place. Or elle elle s’est sacrifiée toute sa vie pour élever Edmundo, son frère, sa sœur. Des tensions naissent et nous voilà dans le roman familial. Chacun a une histoire particulière, chacun garde ses secrets et pourtant tous sont liés les uns aux autres.
Enfin, Estuaire, c’est aussi l’Europe qui marche sur la tête. Le père s’est lancé dans une entreprise digne mais qui se heurte au mur européen. Des dossiers se perdent, des subventions ne viennent pas et tout s’effondre jusqu’au drame ultime. C’est Edmundo qui tentera de dénouer cette situation avec un fonctionnaire mais pour ce dernier :
Contrairement à ce qu’on pensait d’ordinaire, il n’avait rigoureusement aucun pouvoir sur quoi que ce fût. Il était un domestique, un serviteur de l’imbroglio de la législation, un serviteur des détails et surtout des manigances des petits malins. D’ailleurs il avait parfois l’impression de n’être rien d’autre que le jouet de rivalités, d’intérêt personnels, d’intérêts nationaux, le jouet des banques, de l’humeur des gestionnaires des banques.
La création littéraire, les relations entre les membres d’une famille portugaise et leur relation à la crise qui traverse le pays et l’Europe sont les grands sujets de l’œuvre de Lidia Jorge.
On ressort harassé d’Estuaire mais avec le sentiment d’avoir lu un livre important et avec dans les dernières pages un espoir insensé qui naît et donne une lueur d’optimisme.