L’annonce d’un nouvel album de Fat White Family reste toujours un mystérieux objet du désir. De leurs précédentes productions, on ne peut que se prêter à sacraliser le groupe mené par Lias Kaci Saoudi, tant leur univers musical est imprévisible et leur évolution sujette à de nombreuses interrogations. Rescapés des affres de l’addiction et de tensions internes, qui ont failli faire imploser la formation, de ses vicissitudes, Forgiveness Is Yours, contient en 11 titres, cette consistance un brin provocatrice qui est la marque de fabrique d’un groupe jamais vraiment assagi. Religion For One, assorti d’un clip expressionniste évoquant un certain Léonard Cohen ou Bullet Of Dignity, éclaircissent les esprits. Les intentions du groupe ne sont jamais camouflées derrière un racolage ou un sens de la provocation gratuite auxquels les plus empressés voudraient les assigner. Au contraire, on se surprend à écouter en boucle What’s That You Say comme un titre surgi du passé mais étonnamment moderne.
Avant toute chose, comment vas-tu demain ? Pardon aujourd’hui !( erreur de ma part mais la réponse de Lias fait le lien avec le reste)
Lias : Rires. Voilà une énigme métaphysique intéressante ! Entre aujourd’hui et demain, je passerai d’une ville à l’autre, c’est donc à chaque fois très furtif, ce qui laisse peu de recul sur le présent, j’aimerais justement avoir un peu de répit. Le temps accordé chaque jour aux interviews, est un peu comme un marathon que tu accomplis au moment où tu franchis la ligne et que l’on te donne un remontant, mais tout cela se fait dans un laps de temps très réduit dans un lieu à chaque fois différent, c’est comparable à la conception de notre album, les attentes du départ ne sont pas les mêmes à l’arrivée. C’est comparable à n’importe quelle autre discipline sportive où tu t’impliques pendant plusieurs jours d’affilée.
Justement, tu as une conscience très aigüe de l’existence combinée à une notion du présent, comment te projettes tu dans ce nouvel album ?
Lias : Je me projette au travers des mots ou du dessin, c’est quelque chose de spontané qui échappe à la volonté. Étant de nature réservé, je me retrouve à être comme un artiste qui, faisant une exposition, est en conflit permanent avec sa timidité. J’essaie d’y voir plus clair, c’est en cela que j’essaie de me projeter, dans le but d’atteindre un résultat.
De quel discours est tiré le premier titre d’ouverture Forgiveness is yours ?
Lias : Ce n’est pas extrait d’un discours, je l’ai écrit. As-tu déjà écouté T.S. Eliot lisant The Waste land ? C’est une interprétation un peu sarcastique de son poème, j’en ai fait une version appropriée à l’actualité.
Je pense souvent à « Whitest Boy on the Beach », qui est visionnaire, et en lien avec l’actualité. Les onze titres de l’album combinent de nombreuses thématiques géopolitiques et sociales. Que penses-tu de la situation actuelle au Royaume-Uni et au-delà ?
Lias : Il est très difficile de ne pas être cynique à l’égard des évènements et de la redondance qui en découle, la répétition des mêmes préceptes. Je pense que l’Occident est dans une période de confusion, une situation de crise spirituelle, une sensation de perdition. Comme si le blizzard avait trouvé sa place au sein de notre société. Il est intéressant d’observer ces récentes conflagrations, et de cette hypocrisie flagrante, nous nous révélons être totalement incohérents. Il est illogique de continuer à se considérer comme étant le camp du bien. Le vernis commence à s’effriter, au final nous avons les dirigeants qu’on mérite. J’ai vécu 6 mois en Chine avant la formation du groupe, j’y enseignais la langue Anglaise, et j’ai fini par ressentir ce manque de vitalité culturelle, tant de similitudes à bien des égards dans cette tendance individualiste que nous vivons aussi, c’était d’un ennui mortel et c’est exactement ce que nous commençons à vivre ici, les pires aspects du socialisme et du capitalisme.
L’album Serfs up a fait l’effet d’une bombe à sa sortie, considères-tu que ce nouvel album ait comme intention de jeter un pavé dans la mare du conventionnel ?
Lias : Je pense que, plus que toute autre chose, la création est une question d’esthétique. Dans un processus artistique, la satisfaction à donner des formes à votre dilemme intérieur est une approche très personnelle. Il y a inévitablement un noyau politique que l’on ne peut éviter, c’est se prêter à la folie de l’informe et du chaos des civilisations face à la nature, cela n’a aucun sens.
Le nom du groupe est-il un pied de nez aux protestants anglo-saxons blancs ?
Lias : Quelqu’un via internet, m’avait accusé de racisme, je m’interroge sur le fait qu’on puisse émettre un tel jugement. Je n’ai pas grandi dans cet environnement avec ces connotations qui définiraient le monde Occidental, mais en cela le problème de l’obésité est un sujet préoccupant parmi tant d’autres. Le nom provient d’un ami DJ Fat White Duke. À une période où nous étions de sales petits gamins puérils, on s’inspirait de la famille de Charles Manson ou d’autres personnes peu recommandables. Cela dit, on est un peu une famille recomposée !
Comment as-tu réussi à réunir la musique et les paroles d’une manière à ce que l’ensemble s’imbrique dans une seule matière sonore ?
Lias : Cela pourrait être conceptuel, mais ça ne l’est pas. En gardant l’oreille attentive à ce qui pourrait se transformer en quelque chose de formel, vous pouvez vous inspirer à partir d’une conversation, d’un livre ou même sur l’étiquette d’une boîte de thé ! Évidemment, les mots proviennent de vous-même, mais une grande partie de ces différentes idées s’assemblent pour créer des tons différents. J’ai toujours été capable de faire une sorte d’associations des mots en musique. J’ai une attirance pour le lyrisme littéraire, et je ne te dirais pas de quels livres il s’agit, les gens doivent chercher par eux mêmes. Si vous voulez écrire des paroles, je dirais qu’il faut opter pour la poésie, allez vers la prose non pour faire du remplissage.
Je trouve, justement, que dans Religion For One, il y a cette lucidité et l’acceptation d’expériences et de tragédies antérieures. Considères-tu qu’il s’agit de votre album le plus abouti ? As-tu le sentiment d’avoir atteint une certaine maturité et une certaine distance par rapport au passé ?
Lias : C’est un clin d’œil à beaucoup d’auteurs littéraires et de compositeurs. Et ce titre analyse le fait qu’un moment dans ta vie, tu dois arrêter de te complaire dans la merde, et d’y entrainer tout ton équipage. Je ne suis pas Iggy Pop, je n’ai pas sa constitution, son physique, je préfère être au plus près des mots. Quand tu écoutes cette chanson et que tu vois le clip, qu’on a tourné sur Paris, avec l’immense Michael William West, tout prend forme juste en fermant les yeux. Il y a des références à Marlène Dietrich, au cinéma impressionniste, certains quartiers de Paris se prêtent particulièrement bien à reconstituer cette ambiance. Concernant Forgiveness Is Yours, ça a été assez difficile à concrétiser et je suis vraiment soulagé que ce soit terminé, je peux en quelque sorte passer à autre chose, me consacrer à ma vie personnelle que j’ai négligée. Et je suis satisfait que des gens l’apprécient, parce qu’à la base tout semblait être complètement foutu.
La respectabilité te fait peur ?
Lias : Tu sais quand tu es jeune, t’en as rien à foutre d’avoir des ennemis même des personnes que tu connais, et en vieillissant, tu deviens plus vulnérable, j’ai plus envie de me faire des ennemis, la bagarre c’est plus pour moi. A vrai dire, je n’ai pas le courage de Mark E. Smith ( The Fall). C’est une respectabilité différente, un peu de confort me suffit, rien de plus, si c’est possible. Lire est très important pour me détendre.
Fat White Family · Forgiveness Is Yours
Domino – 26 Avril 2024
La Cigale Paris, lundi 27 mai 2024