[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]usqu’à cette année, Joseph Mitchell (1908-1996) était peu connu en France. Pourtant il fut l’une des plus fameuses plumes du New Yorker, s’illustrant avec brio dans ce qu’on appela la « narrative non-fiction », c’est-à-dire le récit de faits réels, dans le cadre d’un reportage, mettant en scène des protagonistes comme s’il s’agissait de personnages auxquels il est arrivé une histoire. Il publia de façon prolifique dans le journal de 1938 jusqu’en 1964 puis ne produisit plus rien jusqu’à sa mort en 1996, victime d’un mystérieux blocage d’écrivain. Est-ce parce qu’il était désormais « à sec », vidé de l’énergie qu’il mit à retranscrire à ses lecteurs, avec application et grande empathie, les aventures de « ses » personnages, des gens plutôt en marge à qui il donnait de la grandeur, véritables héros de New York, qu’il arpentait inlassablement et amoureusement ?
Les Editions du sous-sol nous permettent, dans ce formidable recueil de récits de personnes « d’une manière ou d’une autre liées au bord de mer de la ville de New York » , de mesurer l’important investissement du reporter qui n’hésitait pas à étaler chacun de ses articles sur des dizaines de pages, créant une ambiance et une tension dramatique peu communes dans le journalisme. On se laisse immerger ainsi dans le quotidien, et surtout le passé, d’hommes du marché aux poissons de Fulton Street, des quais de New York ou bien des rives de l’Hudson, chacun faisant entendre sa voix témoignant d’une époque révolue, ressuscitée grâce à l’écoute, et à la plume, de Joseph Mitchell.
C’est souvent émouvant, impressionnant de détails et de minutie. On a l’impression de traverser les siècles car chaque personnage est comme façonné par le lieu dans lequel il vit, et chaque lieu est le théâtre de plusieurs époques qui se superposent. Joseph Mitchell remonte loin dans l’Histoire collective. Cela grouille de vie(s).
Cette découverte de Joseph Mitchell est un régal. Et, peu avares de beaux cadeaux, les Editions du sous-sol nous gratifient, en plus de cette anthologie, de la biographie de Thomas Kunkel, L’Homme aux portraits : une vie de Joseph Mitchell, nous plongeant dans les secrets de fabrication des textes du reporter car oui, tout est question d’écriture, Joseph Mitchell ayant volontiers oscillé, sans s’en cacher, entre réel et imaginaire…