[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]ous qui allez rentrer dans Forêt-Furieuse, soyez attentif aux bruits de la nature, aux rires et aux pleurs des enfants, à leurs noms composés, à ces destinées frappées et brisées. Restez avec eux et veillez-les, un petit peu, le temps de votre lecture et sachez qu’eux, ils seront avec vous, les vivants, ceux qui en réchappent mais les morts aussi, même ceux qui ont trahi, qui se sont noyés dans l’idolâtrie, qui ont été pris par les mots d’un imam trop persuasif.
Vous qui allez entrer dans Forêt-Furieuse, sachez que vous n’en sortirez pas indemne. Que les six cents pages sont difficiles et les mots peu courants, que vous aurez peut-être envie d’abandonner, ne sachant où donner de la tête, ne reconnaissant rien, perdu dans un livre monde. Persévérez, la lumière viendra même si le noir domine.
Vous ne savez pas à quelle époque nous sommes, après l’an I de Killian Mbappé en tout cas, selon les mots de Sylvain Pattieu.
Vous ne savez pas où nous sommes, sinon en France.
Dans Forêt-Furieuse, il est d’abord question de la colonie qui recueille des enfants perdus, abandonnés ou sans parents. Le gouvernement provisoire ne fait pas beaucoup et si les éducateurs sont là, ils font comme ils peuvent.
Que s’est-il passé dans le monde ? Nous ne le savons pas. On pressent cependant une sorte d’univers post apocalyptique.
À la colonie, deux clans existent et se livrent à une petite guerre. Les strongues et les bitches. Au milieu de matchs de foot et de cours quelconques. L’auteur revendique l’influence de Sa majesté des mouches. C’est vrai que cette partie du livre évoque cette œuvre ou lui rend hommage. D’ailleurs, on peut noter que Sylvain Pattieu semble être un auteur généreux : presque vingt pages de remerciements à la fin de Forêt-Furieuse. Mais vingt pages utiles. Remerciements donc mais plutôt personnalisés et qui expliquent l’influence de certains sur son travail mais aussi des notes sur les livres que l’auteur a lu pendant qu’il écrivait son roman. Cela peut donner une sacrée liste de nouveaux livres, romans, romans graphiques ou bandes dessinés à chercher !
Au village proche de la colonie, il y a les christian et les muslim qui cohabitent. Mais bientôt les supermuslim arrivent et veulent installer le califat. Prennent d’assaut le village, tuent, torturent, volent, rendent esclaves certains, utilisent les femmes pour donner des enfants, futurs martyrs.
C’est la deuxième partie du livre.
Sylvain Pattieu nous conte la révolte, la survivance, la lutte dans une langue ravageuse, à la fois nouvelle, dérangeante et souvent poétique dans son malheur.
C’est rude, souvent terrible, mais vivant et rageur.
La troisième et dernière partie sera celle de la fuite, de l’espoir d’un possible renouveau.
J’ai pas d’armure, elle dit Onyx. J’ai pas de roi. Je vais pas aller voir le gouvernement provisoire, pour lui dire quoi ?
Elle dit, on va faire la route. On va aller dans une ville dont je connais le nom, il est beau, il me plaît, Cordes-sur-Ciel. on verra bien avec un nom pareil si on peut revoir ceux qu’on aimait, cex qui sont partis. On montera les chercher dans la lune et les étoiles avec la force des bras. Et pour ceux qui n’en ont pas, on poussera.
Elle dit encore, c’est un joli nom, Cordes-sur-Ciel. C’est là qu’on va.
Le tout forme un roman hallucinant qui ne se donne pas facilement. Les premières pages sont éprouvantes tant nous sommes perdus, ne serait-ce que par le travail sur le nom des personnages : Killian PeitCoeurCouronné, Mme DeLaRocheTaillée ou encore La-Petite-Elle-Veut-Tout-Faire-Toute-Seule …
La langue utilisée par Sylvain Pattieu apporte une grande originalité au récit. Parfois scandée avec l’influence du rap au premier plan et notamment à travers le très beau personnage de Mohamed-Ali qui ponctue formidablement les aventures des enfants, parfois à travers des phrases longues, peu ponctuées à par une utilisation permanente de la virgule (j’ai beaucoup pensé à Céline ici) et des dialogues insérés au récit pour un effet novateur.
Le genre de Forêt-Furieuse serait bien difficile à discerner. Sorte de mélange poétique entre roman d’apocalypse et roman de formation, critique acerbe de notre société avec l’analyse de la prise du pouvoir par les supermuslim, roman écologique avec la partie dans la forêt et le personnage surprenant de la Femme-Arbre.
Ils marchent encore un bout de temps dans la forêt, par des sentiers dissimulés que seule Onyx semble connaître. Enfin ils arrivent près d’une paroi de pierre, et là elle s’arrête, elle leur dit faut pas avoir peur, je vais vous présenter la femme-arbre, c’est ma reine, c’est la reine de la forêt. Ils ne savent pas à quoi s’attendre et quand elle vient elle semble sortir de la pierre elle-même, les enfants ne reculent pas, ils sont fascinés, îles irradiés ont trouvé plus difforme, les estropiés plus abîmée, mais sa laideur est majestueuse, elle est végétale, plus qu’humaine, ses nœuds sont autant d’étoiles de bois, ses branches se développent infiniment, elle avance d’une lenteur incroyable et déterminée.
On trouve tout cela dans ce roman magnifique, qui, vous l’avez peut être compris, a été pour moi un énorme coup de cœur, une lecture comme on en fait rarement et un livre à offrir d’urgence !
Forêt-Furieuse de Sylvain Pattieu
Paru chez la brune au rouergue, août 2019