[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ff9900″]V[/mks_dropcap]oilà, nous y sommes. Le dernier roman de Franck Bouysse, Glaise, est sélectionné par le jury du Prix Libr’à Nous 2018 dans la catégorie littérature.
Franck Bouysse a donc franchi la barrière qui sépare encore le roman noir de la littérature dite « blanche ». Et c’est tant mieux, car il va ainsi, sans doute, rencontrer des lecteurs qui ne le connaissaient pas encore. Avec Plateau, déjà (voir la chronique ici ) et même Grossir le Ciel, il était clair que cet auteur-là, grand admirateur de Faulkner et de Shakespeare, n’avait pas vocation à rester enfermé dans un genre.
Parcours remarquable pour un auteur qui écrit depuis longtemps mais qui depuis Grossir le Ciel, paru en 2014, construit avec opiniâtreté et passion un univers bien à lui, et ne saurait se limiter à cette appellation de « rural noir » qu’affectionnent ceux qui aiment bien mettre les auteurs dans des cases. Franck Bouysse n’entre pas dans les cases, et c’est tant mieux.
Ne dit-il pas : « Les frontières, c’est déjà le début de la guerre. Quand je fais un livre, c’est un espace de liberté totale, je me tape des genres. La poésie peut, parfois, troubler certains lecteurs. Mais je crois que les gens sont curieux de nature. » (cf interview ici).
Avec Glaise, Franck Bouysse fait la preuve de ce qu’il affirme : son chemin vers la pureté de la langue, son attachement à une nature souvent hostile, sa sensibilité aux souffrances et aux plaisirs humains, sa capacité à construire des personnages auxquels on s’attache instantanément, son talent de conteur de plus en plus affirmé sont autant de gages de sa présence taciturne, enracinée et durable dans le paysage littéraire francophone.
Glaise se déroule dans le Cantal, non loin de Salers, au pied du Puy Violent. Un pays rude, magnifique, où la nature et le climat font la loi. Nous sommes à la veille de la Première Guerre mondiale. Bientôt, tout ce que le pays compte d’hommes valides va être mobilisé. Bientôt, les femmes, les enfants, les vieillards et les invalides seront les seuls à faire vivre les villages, les hameaux et les fermes. Bientôt, Joseph, quinze ans, se retrouvera à la tête de la famille, en compagnie de sa mère Mathilde et de sa grand-mère Marie. À quinze ans, à la veille de la guerre, a-t-on encore le droit d’être un enfant ? À quinze ans, est-on assez grand pour aimer ? Joseph va devoir trouver la réponse à ces questions, et à bien d’autres. Son père parti à la guerre, le garçon se retrouve avec les femmes de sa famille, aussi fragiles qu’ombrageuses, son vieux voisin Léonard, ami de toujours de la famille, et puis Valette. Valette, cet homme infirme, répugnant, brutal, incarnation de la violence, menace permanente pour son entourage.
L’arrivée chez Valette de la jeune Anna, sa nièce, et de sa mère va servir de catalyseur et déclencher les passions et les drames… Anna et Joseph, Roméo et Juliette, deux très jeunes gens, très beaux, très amoureux, incarnations de la vie qui résiste à toutes les tragédies.
Car Glaise, à force de remuer la terre, de débusquer les secrets, de mettre à nu les plaies, ne nous épargne pas. La démence des uns, la violence des autres, le silence et la solitude de tous : toutes les graines sont là, prêtes à germer au moindre orage, et à donner naissance aux plus terribles révélations.
Glaise suit le rythme des saisons : le temps de la culture, celui de la récolte. Le froid qui paralyse, le soleil qui assomme. La guerre qui gronde en toile de fond accomplit son travail de mort et de destruction. Ceux qui ne sont pas partis, eux, vont connaître leur lot de tragédie, leur part d’insoutenable. Et Franck Bouysse, sans la moindre mièvrerie, nous émeut et nous transporte au cœur de l’humain, avec une subtilité et une élégance qui n’appartiennent qu’à lui.