[dropcap]À[/dropcap] coup sûr, c’est gonflé… D’une part parce que les lecteurs de François Médéline se rongeaient les sangs en attendant son prochain roman – le dernier, Les rêves de guerre, remontait à 2014. D’autre part parce que pour un retour, le risque n’est pas mince : choisir une fiction politique qui met en scène l’assassinat du Président Macron, il fallait oser. Donc, le lecteur fidèle a un petit peu la tremblote en ouvrant Tuer Jupiter. Non seulement le sujet est gonflé, mais en plus, vu l’actualité estivale, la publication pourrait passer pour un coup médiatique. Qu’on se rassure, ça n’est pas le genre de la maison…
Le premier roman remarquable de François Médéline, La politique du tumulte, était déjà l’expression d’une vision du monde très personnelle, d’autant plus pertinente que l’auteur est un fin connaisseur du monde de la politique. Tuer Jupiter en est d’autant plus inquiétant : à mi-chemin entre farce tragique et roman déglingué, il dresse du monde des politiques un portrait grimaçant, ridicule, méprisable qui laisse entrevoir qu’hélas, le pire n’est jamais sûr.
Nous sommes le 3 décembre 2018, et le Président Macron vient d’être assassiné, victime d’un empoisonnement. Ça tweete de tous les côtés, les hommages pleuvent, les obsèques sont grandioses, puisqu’on a décidé que le Président serait panthéonisé. François Médéline s’en donne à cœur joie: il imagine le discours de Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, et c’est plus vrai que nature. Il imagine le trajet en voiture de Brigitte Macron et Gérard Larcher, président du Sénat et donc président de la République intérimaire, et c’est absolument surréaliste. Il fait un flash-back sur le voyage en Inde du couple présidentiel, avec Emmanuel Macron qui se plaint des accolades répétées du président, se révoltant contre la diplomatie du câlin. On s’immisce dans le bureau de Donald Trump, en grande conférence avec son fils, et c’est à mourir de rire. Puis derrière Vladimir Poutine qui rentre de sa balade en traîneau à chiens, torse nu sous sa peau d’ours blanc, qui se livre aux mains de son masseur mongol. Et qui, de temps en temps, jette un œil sur la presse. Ça vous inquiète ? Vous avez raison.
Et puis, à côté, les services secrets, l’armée, les barbouzes, les traîtres et les naïfs font ce qu’ils savent faire. Pas très loin, le hold-up du siècle se prépare. Vous voulez savoir qui a tué Emmanuel Macron ? Ce n’est pas le propos, bien sûr… Le roman de François Médéline est une phénoménale fable, à mi-chemin entre farce burlesque et hyper-réalisme, et les hommes politiques dont il nous dépeint la vie et les réactions ne sont finalement peut-être pas si caricaturaux qu’il y paraît. Tuer Jupiter se lit et se relit, c’est une petite bombe susceptible de faire voler en éclats le peu d’illusions qui nous restent, avec brio et élégance.