Après un one shot avec La nuit tombée sur nos âmes et son côté militant, Frédéric Paulin se lance à nouveau dans une trilogie. À propos du Liban.
Nul ennemi comme un frère s’aborde avec humilité, c’est un pavé qui impressionne de prime abord. On lit les premières pages prudemment. On prend des notes. On souligne. On a peur de se perdre dans tous ces personnages, ces noms aux consonances inconnus, ces origines, ces confessions. Puis on apprivoise tout cela et on est parti pour presque 500 pages intenses.
Frédéric Paulin mêle le documentaire, le journalisme et une histoire finalement plutôt universelle : un territoire convoité par plusieurs hommes de confessions différentes. Certains s’admirent, se côtoient, peuvent s’aider mais d’autres semblent irréconciliables et se détestent. De plus, hors Liban, certains pays interventionnistes participent à semer la confusion. La France n’est pas épargnée : pas plus Giscard-d’Estaing que Mitterrand; Israël non plus ou encore la Lybie. Des noms connus apparaissent.
Dans cette pétaudière où Palestiniens, chiites ou chrétiens tentent de mettre la main sur la pays, plusieurs personnages s’agitent : une fratrie avec un père vieillissant mais qui continue de diriger ses trois fils. Un diplomate en crise. Un flic, le capitaine Dixneuf. Sandra Gagliago, juge d’instruction française. Et Zia Al-Faqih, une femme qui se perd dans ce pays où tout va mal.
Nous suivons ces hommes, ces femmes de 1975 à 1983 dans un bloc texte. Pas de chapitre. Pas de pause. À la guerre comme à la guerre. D’ailleurs cette guerre insidieuse se met parfois sur pause. Le temps de laisser tout le monde souffler. Mais elle reprend toujours et les attentats aussi, les morts, les vengeances, la peur.
« Ce qu’il voit de son pays de coeur le dévaste. Il ne parvient pas à croire que les Libanais en soient arrivés là : que les pires atrocités succèdent à des exécutions, des massacres à des attentats, que la mort succède à la mort sans que cela émeuve une communauté internationale atone. Cela pourrait perte une exacte définition de l’enfer. »
─ Frédéric Paulin, Nul Ennemi comme un frère
On pense souvent à DOA et son extraordinaire travail pour Pukhtu. Le documentaire, l’Histoire au centre et des personnages fictifs pour raconter tout cela.
Oui les personnages s’agitent, parfois pour rien. Mais ils vivent tous. Intensément. Dans l’angoisse, le désespoir parfois, certains tiennent le coup grâce aux drogues, d’autres sont désabusés. Cela n’empêche pas l’amour de surgir. La passion impossible telle celle que vit le diplomate Kellerman pour Zia, qui de son côté finira par former et entrainer des jeunes adolescents à se sacrifier pour commettre des attentats sanglants. Le capitaine Dixneuf, amoureux aussi, même s’il ne sait pas ce que cela veut dire et qu’il ne se reconnaît plus.
Et puis ce titre… Un frère : ici, ils sont trois. Deux semblent fidèles au Liban, un autre part en France pour oeuvrer pour son pays mais les deux autres le vivent comme une trahison. Pour ce premier tome, le titre ne prend pas encore tout son sens. Si des malentendus existent, si le conflit est larvé, le père Nassim Nada (personnage sage et intelligent mais impuissant à empêcher la catastrophe à venir), tient encore ses fils. Pour combien de temps ? La suite de la trilogie nous le dira.
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« Voilà, comprend Nassim Nada : la guerre va séparer les Libanais et briser les familles; La guerre, il sait qu’elle empoisonne les hommes. »
─ Frédéric Paulin, Nul Ennemi comme un frère
Tout se mélange finalement et l’auteur ne nous accorde pas de pause. On ressort épuisé de cet ouvrage qui nous aura quand même passionné de la première à la dernière ligne. La suite, dans quelques mois.