La sortie d’un livre d’Antoine Volodine est toujours un événement. Frères sorcières n’y fait pas exception. Événement non par la rareté de l’auteur dans les rayons des librairies mais parce qu’il rajoute une pierre à cette édifice impressionnant du post-exotisme, ce genre littéraire créé et animé par Volodine lui-même ainsi que ses avatars Lutz Bassmann, Manuela Draeger et Elli Kronauer. C’est un point culminant qui nous est délivré dans ce texte divisé en trois parties, trois expériences de lectures.
Déclinaisons sur le théâtre, l’auteur nous emmène dans un imaginaire puissant et indescriptible. La première partie est l’interrogatoire d’une femme qui ignore sa date de naissance. Elle raconte son destin tragique au sein d’une troupe de théâtre où elle s’exercera aux « vociférations » reçues en héritage par sa mère. Ces phrases étranges au pouvoir chamanique insoupçonnable, on en retrouve 343 regroupées en 49 blocs dans la deuxième partie qui compose le livre. Ces phrases mystérieuses procurent du plaisir à être lue à haute voix se croyant ainsi frère sorcière.
Puis le lecteur arrivé à la troisième partie découvre un texte éblouissant qui porte encore plus loin le pouvoir littéraire de Frères sorcières. Dura Nox, Sed Nox est composé d’une seule phrase et court sur l’intégralité des 120 dernières pages sans aucun paragraphe. C’est un tourbillon tel que l’on a déjà connu par exemple chez Mathias Enard et son Zone (Actes sud, 2008) mais pourtant bien différent. Ici l’imaginaire se rattache à une réalité beaucoup plus éloignée. Ce sont des histoires de métamorphoses d’un être passant du sexe masculin au féminin avec une temporalité sans limite.
La lecture de cette longue phrase demande au lecteur une rigueur et du temps pour l’avaler d’une seule traite. On s’aperçoit du tourbillon, dans lequel on se noie, quand on referme le livre aussi groggy qu’un marathonien. Mais la lecture de Frères sorcières n’est pas une compétition, loin de là. C’est un réel plaisir nous transportant dans un univers où le théâtre est la partie visible du pouvoir chamanique de la littérature, particulièrement celle d’Antoine Volodine.
Il faut savoir qu’avant d’être un livre, Frères sorcières est un spectacle mis en scène par Joris Matthieu et écrit par le maître du post-exotisme. Ainsi, sous ce titre se cache un mystère à plusieurs facettes qui se démultiplieront par l’exercice de chaque lecteur.