Tout est sous contrôle. Paul Dixon a.k.a. Fyfe, jeune prodige de 25 ans, avait surpris les plus avertis d’entre nous il y a quelques mois en sortant sans label, sans manager, par seule voie de mail, un single qui fit pas mal de bruit dans la blogosphère spécialisée. Le single Solace se présentait seul, l’artiste préférant rester en retrait, le titre n’étant accompagné que d’une simple photo en noir et blanc où l’on pouvait voir la tête de Paul Dixon de dos, une mèche de cheveux et le haut des épaules couverts de peinture blanche … Mystérieux. Il n’en fallait pas plus pour affoler les blogueurs avides de nouveauté, et j’en fus je l’avoue. Puis plus de nouvelles (bien que d’autres singles soient sortis entre temps) … je l’oubliai.
Mais lorsque je reçus le mail annonçant la sortie d’un LP de Fyfe il y a quelques jours je me rappelai immédiatement non seulement de la mystérieuse photo mais également du titre ainsi que de la mélodie. Surpris d’avoir si bien fixé dans ma mémoire ce qui n’était après tout qu’un titre parmi le flot continu de nouveautés que j’ingurgitais à l’époque, je fus impatient d’écouter le LP composé par le londonien.
Il faut tout d’abord parler de la pochette, loin de dévoiler l’artiste, bien qu’affichant son visage en gros plan, elle le montre recouvert de peinture de diverses couleurs. Les photos accompagnant l’album sont de la même série, seules les couleurs varient.
Bien que fixant l’auditeur d’un regard assuré il n’en reste pas moins que les multiples couches de peinture qui recouvrent son visage mettent une distance entre lui et nous. Le choix d’un alias, Fyfe, pour publier un album solo en dit long sur la volonté du jeune homme de ne pas trop communiquer sur lui.
Aussi le titre du LP, Control, prend toute sa signification. Ici il n’y aura pas de révélation sur Paul Dixon, inutile d’attendre qu’il se mette à nu. Les textes sont d’ailleurs à l’unisson. Thèmes généralistes, évocations universelles, chacun peut y entendre ce qu’il veut. Rien de très personnel ou alors noyé au milieu de phrases pour le moins elliptiques. Au risque de laisser l’auditeur sur le bord du chemin, Fyfe choisit une certaine distance
Je peux dire des choses en tant que Fyfe, que je ne dirais pas ou ne penserais pas, et aller là où les gens ne m’attendent pas.
Ce n’est ni un personnage ni vraiment moi – c’est quelque chose entre les deux.
Petit génie de la musique, multi-instrumentistes, très tôt Paul Dixon s’est formé à la musique classique et au jazz. Il s’intéresse, grâce à son frère, à la musique pop et commence à créer ses propres compositions. Son premier album paru en libre participation sur Bandcamp sous un autre alias, David’s Lyre, est encore marqué par le lyrisme des arrangements grandiloquents propres à sa formation classique.
Avec Fyfe, Paul explique qu’il s’est efforcé de simplifier au maximum ses compositions, laissant à l’auditeur la possibilité de remplir cette simplicité de ses propres expériences.
11 titres, 41 minutes. Pile. Si ce n’est pas du contrôle …
Pour ceux qui n’auraient jamais entendu la moindre note de Fyfe je définirais sa musique, sans en altérer sa singularité, comme un subtil mélange entre les rythmiques mid-tempo et syncopées de Alt-J, les gracieuses mélodies de Wild Beasts et l’électro délicate de Jay- Jay Johanson.
La voix est au premier plan, dans une proximité qui contraste avec la volonté de l’artiste d’avancer partiellement masqué. Musicalement les beats sont très marqués, presque au même plan que les voix, avec des changements brutaux et des ajouts de texture à l’image de la peinture sur le visage de Paul.
La plupart des titres sont sur le même format, le travail mélodique permettant d’appréhender une évolution sensible au fil de l’album, mais plusieurs écoutes sont nécessaires pour en apprécier tous les contours. Peu de titres se démarquent, si ce n’est Solace avec son refrain entêtant et For You avec son solo épique évoquant les saxos jazzy de Sting sur An English Man In New York.
C’est une musique directe mais pas immédiate. Le moment de l’écoute importe donc également. Cet album convient à une écoute paisible dans un lieu confortable avec le minimum de stimuli. En effet une écoute flottante ou perturbée par des événements extérieurs ne permet pas d’entrer dans le monde de Fyfe.
Cette retenue ou cette distance que le chanteur conserve en permanence représentent assurément un frein à l’attachement que l’auditeur pourrait avoir pour sa musique.
Control est le travail d’un artiste à la personnalité forte, affirmant son point de vue musical sans transiger, au risque de laisser les moins attentifs et les plus impatients insatisfaits. Pour les autres un univers intéressant se révélera à eux, ils y trouveront les germes d’un artiste qui pourrait bien devenir un incontournable de ses prochaines décennies.
Control est paru chez Believe Rec. le 9 mars. Il est disponible en écoute sur Spotify.
Très belle découverte. Merci*