Après une collaboration avec Jennifer Murzeau pour écrire Le second souffle, Gilles Marchand est de retour en solo avec un nouvel opus : Le soldat désaccordé. Drôle de titre. Rassurez-vous, l’explication viendra à la toute fin du roman.
Soldats, guerre, 14-18, poilus, boches, obus, déluge d’acier. Oui, on pourrait penser à Un long dimanche de fiançailles de Japrisot. Car en plus Gilles Marchand nous raconte l’histoire d’un soldat disparu. Sa mère le recherche désespérément et engage notre narrateur pour tenter l’impossible : le retrouver. Elle a la certitude qu’il est vivant.
Ayant apprécié à l’époque le livre de Japrisot, je me suis lancé dans Le soldat désaccordé avec une pointe d’angoisse. De Gilles Marchand, j’ai aimé, voire plus, tout ce que j’ai lu. Là, j’avais peur de retrouver un ersatz du Japrisot. J’ai eu tort bien sûr. J’ai dévoré ce nouveau Gilles Marchand.
J’ai eu peur, j’ai été choqué, j’ai pleuré avec lui, avec ses personnages. J’ai lu et relu certains passages, certains bouts de phrase tant ils m’éblouissaient.
Entre tous les personnages qui émaillent l’enquête du narrateur, ceux qu’il ne rencontre que sur le tard, ceux qui reviennent plusieurs fois, il y a cette invention incroyable, d’une grande beauté : cette « fille de la lune » que des soldats blessés voient alors qu’ils agonisent presque ou quand ils ne sont que blessés dans le no man’s land. Qui est elle ? Que fait-elle là ? Il vous faut lire Le soldat désaccordé pour le savoir et vous me remercierez ensuite de n’avoir rien dit.
Au milieu de la guerre, une histoire d’amour. Une belle. Une mythique presque. Et milieu de cela, des histoires de soldats, de morts, de misère et d’enfer. C’est souvent éprouvant et irrespirable. Gilles Marchand ne nous épargne pas. La vie du narrateur elle-même nous désespère tant il a souffert. Pourtant, il se relève à chaque fois, continue sa quête, son enquête comme une sorte de rédemption, pour étouffer ses regrets.
C’était la guerre. Un vrai boxon du diable. On n’allait pas s’arrêter à chaque fois qu’il y avait un truc bizarre ! Il y avait de tout dans les tranchées : des corps sans tête, des bouches sans personne, des morceaux de canassons, des extraits d’hommes et j’en passe. Une horreur.
Il se donne entièrement dans son travail d’enquêteur et là, il en trouve une à hauteur d’âme. Une histoire qui lui ressemble. Car si Mme mère Joplain lui demande de trouver son Émile de fils, elle ne lui dit pas tout. Et notre narrateur va aller de découvertes en découvertes.
Encore un beau personnage que cet Émile Joplain, jeune amoureux fou, poète à ses heures, idéaliste également. Il ressemble finalement à celui qui le recherche, des années après sa disparition.
Je faisais mon devoir.
C’était ce que je croyais. Bien sûr, j’avais été utile. Je n’en doutais pas pas une seconde. Il n’empêche que j’aurais dû rentrer quand j’en avais le droit. Quand Anna avait besoin de moi. Il n’y avait pas que la France, ce si beau pays pour lequel nous tombions comme des mouches, qui avait besoin de moi. La vérité, c’est que je n’aurais pas pu rentrer, parce que j’avais peur d’affronter le monde, parce que nous avions appris à nous mentir, à croire qu’il était juste que nous soyons là et que nous mourrions pour sauver notre patrie. J’ai passé quatre ans sans voir mon Anna.
Gilles Marchand
Ce narrateur dont jamais Gilles Marchand ne nous donnera le nom pas plus que le prénom, ancien soldat inconnu au bataillon et pourtant estropié comme nombre de ses camarades lors de cette guerre. La der des der disait-on. Narrateur qui finalement laissera beaucoup de place à celui qu’il recherche. Émile le soldat amoureux et Lucie, son amoureuse de toujours.
Ces deux là résonneront longtemps dans nos têtes, dans nos pensées. Ils donneront le « la » de toutes les prochaines histoires d’amour que nous lirons et croyez moi, elles ne sont prêtes de s’approcher de la leur !
Le soldat désaccordé de Gilles Marchand
Aux forges de Vulcain, août 2022
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