Gilles Verdet est loin d’être un inconnu pour l’amateur de roman noir. On se rappelle notamment son très beau Larmes blanches, paru chez Buchet Chastel en 2007. A vrai dire, on attendait même avec quelque impatience son nouveau roman, qui paraît ces jours-ci chez Jigal. Et on n’est pas déçus… Gilles Verdet réussit son retour avec un texte qui commence sur les chapeaux de roue, avec un hold-up en direct dans une bijouterie du boulevard Saint-Germain. Le narrateur, Paul, est de la partie, et on suit toute l’affaire à travers son regard. Dès le début, on sent bien qu’on n’a pas affaire à un gangster professionnel. Et la fin tragique de cette folle entreprise, avec la mort de son complice et ami Simon, ne va pas nous rassurer. Simon tombe sous les balles de deux femmes en burkha entrées là comme de simples clientes. Et qui sont, elles, visiblement habituées à la mort qu’on donne sans plus y penser. Quant à Paul, il réussit à s’enfuir sans trop savoir comment.
Paul n’est pas gangster, mais photographe. Sa spécialité : tirer le portrait d’auteurs pour des maisons d’édition soucieuses de l’image de leurs poulains. Comment s’est-il retrouvé en braqueur de bijouterie ? Par amitié pour son ami Simon, flic de son état, et atteint d’une maladie fatale qui lui laisse quelques mois à vivre. Laisser un peu d’argent à sa famille, partir en beauté, risquer le tout pour le tout, voilà ce que voulait ce pauvre Simon. Quant à Paul, le voilà seul face à son inquiétude. Car ces deux bonnes femmes voilées et flingueuses, quand même, c’est un peu fort. Quand il y repense, il se rappelle que les deux meurtrières, juste avant le moment fatal, murmuraient une sorte de mélopée poétique, inintelligible. Paul a peur. Des flics. De la mort. Du mystère. D’autant plus que quelques jours plus tard, il reçoit un texto énigmatique, mais identifiable, un vers de Verlaine:
Le ciel est, par-dessus le toit, si bleu, si calme !
Si calme ? Rien n’est plus loin de la vérité. Car bientôt, c’est un autre copain de Paul, Bernard, qui passe l’arme à gauche, assassiné à coups de couteau, après avoir écouté son ami lui confier toute l’histoire. Et puis un autre encore, Georges, poussé sous une rame du métro par une femme qui, juste avant son geste, lui murmurait à l’oreille un vers de… Verlaine.
La vie est là… simple et tranquille.
Simple et tranquille ? Sûrement pas. Qu’ont-ils donc à mourir tous, ces vieux amis de Paul ? Ceux avec qui il a partagé, trente ans plus tôt, la vie en communauté, à l’époque des utopies. Paul n’y comprend rien, Lyse lui manque, elle qui l’a quitté. Ses amis lui manquent. Il faut qu’il comprenne, et pour cela, il est prêt à tout.
Gilles Verdet écrit comme un orfèvre. Il soupèse ses mots-joyaux, les enchâsse dans leurs phrases de métal précieux, sait que décrire une action n’est pas incompatible avec la beauté, les comparaisons sinueuses qui amènent leur lecteur là où elles veulent, exactement. Il écrit avec gourmandise, âpreté, et si Verlaine et Rimbaud sont tapis, en permanence, derrière ce texte qui se lit avec délectation et hâte à la fois, c’est Gilles Verdet qui au final remporte la partie. Il réussit à nous entraîner dans une histoire terrible, sur fond de poésie, de Commune de Paris et d’années 70, nous rappelant au passage que les « babas cool » de l’époque n’étaient finalement pas si cool que ça, exprimant sur un ton plus vrai que nature l’amertume, la colère et la frustration engendrées par les utopies déçues, les illusions perdues. Et l’histoire tragique qu’il nous raconte, avec sa fin aussi amorale que romantique, va vous laisser ému, troublé, vaincu.
Gilles Verdet, Voici le temps des assassins, Jigal Polar, février 2015