[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#C26E25″]J[/mks_dropcap]im Jarmusch et son nouveau film Gimme Danger nous ramène en 1967, là où tout a commencé pour le groupe le plus subversif de l’histoire du rock : The Stooges. Un documentaire passionnant, émouvant, drôle et épique, qui redonne ses noblesses aux avants-gardistes de l’époque et toute la panoplie qui va avec : Sex, Drugs and Rock’n roll ! Pas étonnant que Jarmusch, cinéaste par excellence des anti-héros et des marginaux, se soit penché sur le cas des Stooges, on y retrouve ce qui fait la quintessence de son univers.
Jarmusch a déjà signé en 1997 Year of the Horse, un documentaire vraiment réussi sur Neil Young and the Crazy Horse lors de leur tournée, et que je vous recommande chaudement au passage.
La musique est omniprésente chez Jarmusch, sous toutes ses formes, et ce depuis son film de fin d’études, Permanent Vacation réalisé en 1980, dans lequel un jeune vagabond sans attaches, Aloysious Parker, erre dans les rues et croise différents personnages singuliers, dont John Lurie (célèbre saxophoniste qui a collaboré notamment avec David Bowie et Iggy Pop). On le retrouve dans ses deux films suivants, Stranger Than Paradise – caméra d’or à Cannes en 1984 – et Down by Law en 1986 où il est rejoint par Tom Waits.
D’emblée, Jarmusch invente une nouvelle forme de cinéma très singulier à l’image de ce qui est vital chez lui, la musique, la littérature, les esprits libres, les poètes ; empreint de culture punk, il a un ton décalé et fantaisiste bien à lui, couplé à un regard désenchanté sur le vide existentiel, ses films cachent aussi des pépites de drôlerie.
[mks_pullquote align= »left » width= »257″ size= »22″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ffffff »]Iggy Pop se remémore avec le réalisateur ces années furieuses avec le même air juvénile du sale gosse qui repousse sans cesse les limites.[/mks_pullquote]
J’ai découvert, pour ma part, Jim Jarmusch avec l’envoûtant Mystery Train en 1989, qui met en scène, entre autres, deux adolescents japonais effectuant un pèlerinage dans la ville de Memphis où le fantôme d’Elvis rôde ; le couple part de la gare et déambule du centre ville au studio Sun Records, pour échouer à l’hôtel Arcade dans un quartier de seconde zone. L’image de ces deux personnages bardés de rouge à lèvres, avachis par terre devant leur lit, comme délestés du poids du monde, elle les yeux dans le vague, lui cigarette abandonnée aux lèvres, m’a longtemps obsédé.
Suivra en 1991 Night on Earth, encore un film nocturne, le chef-d’œuvre mystique et crépusculaire Dead Man en 1995, avec (déjà) Iggy Pop, qui y tient un rôle culte. Pour ceux qui ne connaissent pas ces films, je ne peux que vous les conseiller, chanceux que vous êtes à les découvrir pour la première fois. Ghost Dog (1999), Only Lovers Left Alive (2013), et le très doux et poétique Paterson sorti le 21 décembre dernier (chronique ici), sont à voir sans restriction.
Addicts de tous les bords, faites-vous plaisir.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e titre Gimme Danger est clairement une réponse au documentaire Gimme Shelter, réalisé en 1970 par David et Albert Mayles et Charoltte Zwerin, qui empruntaient son titre à un morceau du groupe The Rolling Stones (« Abrite-moi »), et qui marquait le début de la descente aux enfers avec l’héroïne et la violence, avec un meurtre au couteau commis lors d’un concert.
Ici, l’expression est empruntée à Iggy Pop qui haranguait la foule lors d’un concert des Stooges, avec un « Gimme danger » provocateur (« brûler» au sens littéral du terme). Jarmusch, en choisissant ces mots comme titre de son film, réhabilite ces années lumineuses, et l’énergie particulière à cette époque, et remet au goût du jour cette insécurité que recherchait la jeunesse d’alors. Le danger vient de l’inconnu mais pourquoi faudrait-il en avoir peur ? À quoi bon rester dans sa zone de confort ? Les Stooges ont clairement fait bouger les lignes en bousculant l’Amérique conservatrice vieillissante. La subversion d’Iggy Pop et des Stooges sur scène inspirera de nombreux artistes, dont Jim Morrisson qui fait partie des artistes qui ont éclairé l’adolescent que j’étais, et que j’aurais tellement rêvé de voir sur scène.
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Gimme Danger repart au tout début, là où tout a commencé, l’année 1967. Ce sera une ascension fulgurante jusqu’en 1974 et la dissolution du groupe. J’aime surtout toute la première partie du documentaire sur la formation du groupe, comment les rencontres se sont faites ; Iggy Pop, de son vrai nom James Newell Osterberg, y raconte notamment comment ils vivaient comme des communistes, au sens où ils partageaient tout, des droits sur leur musique, la drogue, ils vivaient tous ensemble dans une maison qu’ils louaient à Détroit, avec les frères Asheton et Dave Alexander qui composaient le reste du groupe. L’important était d’être ensemble et de faire ce qu’ils aimaient le plus au monde : du rock. La belle utopie, eux l’ont vécue.
Les Stooges sont alors très vite réputés pour leur attitude sauvage et un comportement outrageant sur scène. En 1968, ils signent un contrat avec Elektra Records qui était venu voir un autre groupe ce soir-là, MC5 dont les Stooges faisaient la première partie. Le premier album éponyme suit, produit par John Cale, bassiste du Velvet Undergound.
La légende est en train de s’écrire.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#c26e25″]I[/mks_dropcap]ggy Pop et Jim Jarmusch étant devenus amis, et, vu le parcours des deux artistes, c’est presque en toute logique que ce documentaire existe. Témoignages des derniers membres vivants au moment où le film s’est tourné, évocation aussi de leur reformation de 2003 à 2016, Jarmusch parvient à rendre toute la passion qui les animait, avec quand même un brin de tristesse car certains sont depuis décédés.
Iggy Pop lui, est vivant et reste un animal totalement libre, dernier survivant de la pierre angulaire qu’il formait avec Lou Reed et David Bowie, la Sainte Trinité du rock qui a nourri d’un feu sacré les années 70, et qui, 50 ans plus tard, se remémore avec le réalisateur ces années furieuses, avec le même air juvénile du sale gosse qui repousse sans cesse les limites.
Quand on l’entend, Iggy donne envie de se dépasser, d’aller au bout de ses désirs, de vivre pour ce pour quoi on respire. Jarmusch nous fait revivre cette épopée folle avec beaucoup de tendresse pour les protagonistes.
Le film donne une énergie incroyable, et dans un contexte particulier, quand partout la contestation citoyenne gronde, alors que les États-Unis et le monde ont vécu ces derniers mois l’ascension au pouvoir de Trump, Jarmusch nous dit à peine entre les lignes que la subversion reste une belle arme de résistance.
Sortie en salles le 1er février 2017