[dropcap]L[/dropcap]e titre de l’article nous invite, pour évoquer la vie du co-fondateur des Go-Betweens, à commencer par la fin. Dure, inattendue, brutale. Alors que rien ne laissait présager d’une telle issue, Grant William McLennan succombe à une crise cardiaque à son domicile de Brisbane à l’âge de 48 ans. Le monde des amateurs de ce que la pop recèle de plus fin, de plus harmonieux et de plus sincère accuse immédiatement le coup. Ils ne s’en remettront d’ailleurs jamais.
Et puisque la fin a fait office de début de cette évocation forcément bien trop brève d’une carrière si marquante, continuons la à rebours. La dernière période artistique de son existence, G. W. l’a consacrée à la reformation de la doublette qu’il formait avec Robert Forster et qui l’a, justement, consacré comme un songwriter majeur. De nouveaux musiciens pour les accompagner, et trois albums. The Friends of Rachel Worth (2000), Bright Yellow Bright Orange (2003), le plus réussi des trois selon le rédacteur de ce modeste hommage, et Oceans Apart (2005), belle façon de nous dire au revoir même si cet ultime disque est un peu plombé par un son dénué de relief. Globalement, on y sent les deux amis sereins, délivrés de l’enjeu de la pression qui pesait sur eux au cours de la première période, quand ils étaient encore de jeunes gens ayant tout à prouver à eux-mêmes, à l’Australie et au monde. Too Much Of One Thing, typiquement, nous les laisse entendre complices et joueurs, alternant les parties vocales ou chantant à l’unisson, ce qui n’est pas fréquent dans leur répertoire ou chacun chantait souvent ses propres textes. On ne peut s’empêcher de penser que Grant avait encore beaucoup de musique en lui quand il nous a quittés, et de la très bonne.
Avant cette seconde vie des Go-Betweens, les années 90 ont été celles qui ont vu les chemins de Forster et McLennan se séparer, musicalement car pour le reste, ils ne se sont pas perdus de vue. Ce dernier a sorti quatre albums solo, dont un double, Horsebreaker Star (1994). Si l’on y ajoute ses collaborations avec d’autres artistes, il a donc fait preuve d’une vraie productivité qui, on le sait, ne rime pas toujours avec qualité que phonétiquement. S’il y a largement de quoi picorer dans cette prolificité, notamment sur l’inaugural et très bon Watershed (1991), Grant se disperse un peu, tente un pas de côté countrysant par ci, alourdit son approche d’ordinaire si légère par là, notamment sur In Your Bright Ray (1997). Robert s’en sort finalement plutôt mieux de son côté. Passons l’aveu d’une généralisation abusive et d’un excès d’exigence, mais on ne peut pas discuter des mérites des oeuvres d’un homme qui a pensé, écrit et joué Bachelor Kisses et Love Goes On comme de celles du vulgum pecus. Allez, que cela ne nous empêche pas d’apprécier Haven’t I Been A Fool comme il se doit !
Le projet le plus réussi de cette décennie est peut-être le premier LP éponyme de sa collaboration avec une autre grande figure de la pop indie kangourou, Steve Kilbey, au sein de Jack Frost, super groupe de rêve. L’utilisation de machines fait baisser la température de quelques degrés, et pimente le talent de la paire pour la production de mélodies marquantes, délicieusement troubles et mélancoliques. Malheureusement, sur leur deuxième tentative (Snow Job, 1996), le leader de The Church emmènera son nouveau binôme (ou est-ce l’inverse ?) jouer les gros durs alors que les compositions auraient mérité plus de délicatesse. On notera aussi que Grant a fait furtivement partie de Far out Corporation, groupe avec lequel il a entamé sa collaboration avec Adele Pickvance qui le suivra au sein des Go-Betweens reformés.
Ce n’est pas un scoop, mais là où McLennan a été le plus étincelant, donc, c’est sur les six premiers disques de son groupe-étendard, et sur les quelques singles qui les ont précédés ou sont sortis en parallèle. Il n’est pas question ici de les disséquer un à un, même si ce serait un vrai plaisir. On se bornera, sans faire injure à Liberty Belle And the Black Diamond Express (1986) ou Tallulah (1987), à porter aux nues les deux phares que sont Before Hollywood (1983) et le presque célèbre 16 Lovers Lane (1988). Deux collections que tout oppose a priori : la première est aussi tendue, inquiète, lugubre parfois comme sur Dusty In Here, où il évoque son père qu’il a à peine eu le temps de connaître, que la seconde est solaire et capiteuse. Mais elles se rejoignent sur la présence de merveilleuse mélodies signées, notamment, G.W : A Bad Debt Follows You, Cattle And Cane, That Way, Love Goes On, Streets Of Your Town, Was There Anything I Could Do ?… what else ?
Il pourrait enfin être question de l’idylle de notre homme avec Amanda Brown, la choriste et multi-instrumentiste des dernières années des Go-Betweens première période, mais il est sans doute plus intéressant de s’attarder sur la complémentarité de sa voix avec celle de son acolyte Robert : là où celui-ci entretient en toutes circonstances une distance un rien sarcastique avec l’auditeur, le timbre de Grant est tout en douceur, de plain pied avec celui qui lui prête son oreille, qu’il traite comme son alter ego, presque un proche. Ce qui explique sans doute mieux le choc ressenti le 6 mai 2006.
En 2010, un pont long de 300 mètres enjambant la Brisbane River a été rebaptisé Go-Between Bridge, en hommage au groupe de Forster et McLennan. Ils sont forts, ces Australiens.
Image bandeau : Crédit photo Derek Ridgers fourni par Domino Records