Imaginez ma petite soirée du 21 Décembre 2012, les enceintes qui crachent les meilleurs titres apocalyptiques connus de notre monde encore vivant.
Il est 22h15 en ce premier jour de l’hiver. Désormais c’est un hiver éternel qui nous attend ! Les eaux des océans menacent de nous engloutir (c’est pour cela qu’il vaut mieux finir assez vite tout le champagne). Les entrailles de la Terre grondent… La fin des Temps est proche mais l’orgie est monstrueuse, l’épicurisme excessif pour cette dernière danse.
Il ne reste plus qu’une heure avant que la fête ne s’achève. Il ne reste au « platiniste » que je suis qu’un seul disque à passer.
GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR
Les agitateurs du décompte final.
ALLELUJAH ! DON’T BEND ! ASCEND !
Petit à petit s’installe et sonne le tocsin.
La révolte …
Nos tympans, pareils à la croûte du globe, sont emplis de fêlures après un long murmure macabre.
La violence est totale, sombre et dépouillée de toute tentative d’échappatoire. On frise une dernière crise existentialiste sur les cris étouffés de cette musique dont les montées d’adrénaline ne sont là que pour planter encore un peu plus l’auditoire dans le chaos. On passe du chant des sublimes au bruitisme le plus radical. On devient les possédés d’un refrain sans cantatrice. Des nappes évolutives s’enchainent et se fracassent les unes aux autres dans une parfaite harmonie dantesque.
Les canadiens nous plongent dans une froideur inquiétante et captivante à la fois. N’hésitent pas à faire durer le plaisir avec leur post rock effroyable dont le dernier soupir est imminent.
Mes invités sont médusés par tant d’effroi, j’entends les pleurs et hurlements au loin qui annoncent le grand trou noir. C’est alors que je plonge mes mains dans cette Bible pour hurler au Monde qui agonise :
« (…) Quand je le vis, je tombai à ses pieds, comme mort. Alors il posa sa main droite sur moi en disant: – N’aie pas peur. Moi, je suis le premier et le dernier, le vivant. J’ai été mort, et voici: je suis vivant pour l’éternité ! Je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. »
Et après cette fin du monde ?
En morceaux, éclatés, éparpillés … Le devoir alors de ne pas tomber, de faire corps avec la matière qui a survécu au carnage.
Une attaque de drones alors qui s’impose pour reconstruire une nouvelle ère.
GY !YE est toujours là, trois ans après un silence relativement court (l’attente précédente avait été bien plus longue)
Dehors, les ruines qui ne laissent qu’une vilaine amertume du passé.
ASENDUR, SWEET AND OTHER DISTRESS
Le sable qui s’infiltre. Il vient m’obturer les pores de la peau. C’est épique, une version moderne et décadente du Kashmir de Led Zeppelin ou du Bolero de Ravel.
Nous avons migré dans un Orient futuriste. Les cordes s’emmêlent et nous buvons enfin la joie d’être toujours là, miraculés parmi les miraculés. La lumière après les ténèbres …
Étrange sensation pourtant. Les choses qui nous entourent ne sont pas si accueillantes. Une longue angoisse qui laisse présager des instants féroces. Le souffle des agneaux comme le signe d’une évolution. Des animaux mutants et d’autres mystères qui me glacent le sang. Surgissent alors des oscillations obscures dont on aurait pu supposer qu’elles nous donneraient la nausée. Une berceuse effrayante qui paradoxalement nous apaise et rassure.
Un encéphalogramme plat qui précède la renaissance des êtres.
La progression de la musique est lente, lourde. Comme Ulysse qui jadis fut conduit par des sirènes hurlantes vers l’inconnu. C’est l’extase du danger. Un univers assourdissant. Une cathédrale dont la voûte sonore imprègne notre cerveau.
Cette fois-ci, pas de point d’orgue. Cette fois-ci les choses s’enlisent pour ressurgir du néant.
Renaître encore et encore dans une anarchie sans fin !
L’espoir, derrière un mur de son si dense.
L’album de Godspeed You ! Black Emperor est sorti le 31 Mars chez Constellation Records.
Très belle chronique !! Cela change de l’habituelle médiocrité des pseudos « rock critique » du web. Merci.
Merci Moshe … ça me touche.
Chez Addict Culture nous sommes des passionnés dont le plaisir « amateur » est de partager nos coups de cœur. Après chacun son style mais nous avons la chance, je pense, d’avoir de belles plumes en nos rangs.