[dropcap]B[/dropcap]eaucoup le savent déjà, mais pour reprendre le titre d’un livre de Luz : j’aime pas la chanson française. Cela s’applique à tous les styles musicaux de l’hexagone. À de rares exceptions. L’épatant premier album solo d’Olivier Rocabois en est une. Ce disque vous accroche dès la première écoute et ne vous lâche plus. Il le dit lui-même, Olivier Rocabois Goes Too Far est une invitation au voyage, un trip pop superbement arrangé. Vous y croiserez des fantômes des 60’s, des gloires toujours pertinentes des 90’s, mais à aucun moment ces influences ne prennent le dessus sur un album très personnel, unique en son genre. Dans cet entretien, Olivier Rocabois, nous explique sa genèse, mais il revient également sur les origines de sa passion pour la musique et il nous explique pourquoi il considère ce disque comme son acte de naissance.
Quels ont été tes premiers émois musicaux ?
Cela nous ramène à la fin des 70’s. A l’époque j’adorais la bande originale de Saturday Night Fever. On y retrouve beaucoup de morceaux des Bee Gees. Principalement Stayin’ Alive et Jive Talkin’. J’avais 5-6 ans. Mon père passait souvent ce double album le dimanche matin. À plein volume car il jardinait la clope au bec au même moment. J’ai aussi adoré Rasputin de Boney M. Mais le disque qui a commencé à me faire réfléchir à la musique c’est le dernier album d’Abba, The Visitors qui est sorti en 1981.
Et ton premier disque acheté ?
Woman, un single de John Lennon. C’était juste après sa mort. Je l’avais acheté avec mon père dans un magasin d’hi-fi à Vannes. A cette époque ce type de boutique vendait les disques du hit-parade. Mon père m’avait déjà plongé dans la marmite des Beatles. Alors quand j’ai vu qu’il y avait un single de Lennon, c’est celui que j’ai choisi. Je pense que je n’avais jamais entendu le morceau avant. Lennon et Ono apparaissent ensemble sur la pochette. Je les trouvais presque fusionnels. Du haut de mes 6-7 ans, je pensais qu’ils étaient tous les deux japonais.
À quel moment as-tu eu le déclic qui t’a donné envie de devenir auteur-compositeur ?
J’ai changé de lycée en 1991. Je vivais une histoire d’amour assez forte avec une jeune femme. Pourtant j’avais l’impression d’être dans une impasse. Suite à un événement douloureux, mon père m’a acheté une guitare. Cela faisait un moment que j’en voulais une pour exprimer toute ma frustration. C’était une guitare acoustique noire bon marché. Je m’en moquais, pour moi c’était la plus belle du monde. J’ai commencé tout doucement à jouer les chansons que j’aimais. Au début, des morceaux comme Yellow Submarine des Beatles et Quicksand de Bowie. J’étais super fier, car j’apprenais en autodidacte. Je me souviens d’une traversée en bateau entre Quiberon et l’île de Houat, je jouais Quicksand à la guitare. J’avais l’impression d’être une rock star de 18 ans (rire). J’ai ressenti comme une force tellurique qui m’a dit que c’était ça que je voulais faire. J’ai commencé à écrire des morceaux, à enregistrer des maquettes. À partir de ce moment, écrire est devenu une sorte d’auto-thérapie, même si j’ai longtemps eu le syndrome de l’imposteur.
Quelle musique écoutais-tu à cette époque ?
Avec mes amis, nous écoutions beaucoup la période pop des Rolling Stones. Aftermath, Between The Buttons, Their Satanic Majesties Request. She’s A Rainbow était déjà un morceau qui se détachait du lot. Le piano de Nicky Hopkins, la batterie que je trouvais à l’époque un peu aléatoire et les cordes entraient en résonance avec les Beatles, groupe que j’écoutais déjà à longueur de journée. Ce sont des titres comme celui-ci ou bien la musique des Doors et de Hendrix, qui m’ont rendu passionné. À 15-16 ans on commence à écouter la musique plus attentivement. La bascule ne s’est faite que deux ans après, avec l’arrivée des premiers albums de Suede et The Divine Comedy, ou bien avec des groupes comme Pulp. Les disques de pop des années 90 sont devenus un lien social qui représentait le partage, l’amour, l’amitié. Les classiques des années 60 et 70 s’apparentaient plus à des maisons dont je connaissais toutes les pièces par cœur. On pourrait même considérer le White Album des Beatles comme un manoir.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de te lancer en solo ?
Mon groupe précédent, All If, a été créé en 2008 à une terrasse de bar dans le 11e. La formation a évolué. À un moment, nous étions sept, dont un violoncelle et deux violons. J’ai vécu mon rêve de pop baroque. Mais après toutes ces années, pour des raisons artistiques, logistiques ou d’égo, au bout d’un moment ça n’avait plus de sens de sortir de la musique sous le nom d’All If. C’était devenu un vieux costard que j’adorais mais que je ne portais plus. Il y a trois ans, ma vie s’est retrouvée complètement bouleversée. Des évidences m’ont sauté à la gueule. Je ne voulais plus me cacher derrière des pseudos ni connaître la vie de groupe. C’est pour cette raison que j’ai sorti un single à l’accouchement douloureux sous mon propre nom en 2018. C’était une porte d’entrée qui permettait d’assumer qui je suis. Je n’ai plus honte de moi.
À quel point as-tu travaillé les maquettes d’Olivier Rocabois Goes Too Far avant d’arriver en studio ?
L’album d’All If sorti en 2017, c’était un mélange de maquettes réalisées collectivement et de prises de studio. C’est pour ça que le résultat pouvait paraître un peu dense. À cette époque, je dépendais des autres pour enregistrer des démos. Pour mon premier single solo, je suis parti d’une base guitare-voix ou piano-voix. C’était la colonne vertébrale des chansons. J’ai décliné cette formule pour l’album. Mais cette fois, grâce à un ami qui m’a formé, j’ai enfin pu travailler sur un home studio. La fraîcheur de la nouveauté et la ferveur du converti ont fait que je me suis éclaté avec le logiciel Logic. Le tout premier titre maquetté de cette façon a été Somewhere In A Nightmare. Ça m’a décomplexé. J’aime le côté minéral que ça apporte. D’ailleurs, je pense que le prochain album sera dans une veine plus minimaliste. J’ai empilé pas mal d’idées avant de les soustraire petit à petit. J’ai tout fait moi-même, guitare, piano, synthé, batterie, percussions, flûte etc. C’était le pied total. Certains potes m’ont aidé pour le mixage. C’est sur la base de ces maquettes que l’on a répété avec mon ami Jan Stumke, quelqu’un de très important dans ma vie. Nous sommes ensuite entrés en studio.
Ces maquettes étaient-elles proches de la version définitive ?
Oui et non. Disons qu’il y avait déjà beaucoup d’ornementations. C’est pour ça que j’ai franchi un cap énorme par rapport au passé. C’était une première pour moi. J’avais l’habitude de démarrer les sessions d’enregistrement avec quelque chose de plutôt mince. Là tout le monde a eu les maquettes en amont. Les musiciens et l’ingénieur du son. Nous étions déjà immergés dans les titres avant d’enregistrer la moindre note. Ce qui ne m’a pas empêché de faire mon relou en studio. Je suis exigeant, il m’arrive d’avoir des coups de sang. Les premières prises étaient souvent parfaites. Mais c’était plus laborieux pour les overdubs. Grâce à Olivier Bostvironnois, l’ingé son, le disque respire. Pourtant certains titres comme My Wounds Started Healing ont cent pistes ! Ce titre résume à lui seul l’album. C’est une sorte d’hymne à l’optimisme à un moment où tout semble se dérober sous tes pas. Après nous avons gardé quelques éléments des démos. Comme la basse de Sound Of The Waves, titre que j’ai commencé à composer dans ma tête en me baignant. Ce morceau a été écrit en une journée.
Tous les morceaux sont nés en même temps ou bien as-tu utilisé de vieux titres ?
Tonight I Need est un vieux titre. Je l’ai composé à la guitare un soir de gros blues. Je traînais dans des bars du côté de Nation. Je suis rentré tard, vers trois heures du matin. Tout le monde dormait à la maison. J’ai pris la guitare et j’ai commencé à jouer tout doucement. Le résultat est un mélange entre les accords de Oh My Love de Lennon et Wild Horses des Rolling Stones. Je voulais exprimer la tristesse que j’avais en moi à ce moment précis. Tout le reste a été écrit entre 2018 et 2019.
Pourrais-tu nous parler de ton expérience en studio ?
Au début tout s’est bien passé. Il y avait une sorte de fluidité liée à la qualité des musiciens et de l’ingénieur du son. J’avais une grande confiance en eux, mais aussi en la qualité des chansons. Et puis le confinement est arrivé. Du 10 mars au 23 juin, nous n’avons pas mis les pieds en studio. Aucun morceau n’était finalisé. Pendant cette période, j’ai perdu confiance. J’avais envie de tout arrêter. Au-delà de l’aventure humaine, logistiquement et financièrement, c’est lourd à gérer. En juin on a fait les chœurs, en juillet les cordes puis le mixage. Le disque était terminé fin septembre. Il aura fallu sept mois au total.
As-tu envisagé des changements sur certains titres pendant le confinement ?
Oui. Il m’est apparu une évidence. Je voulais que ce disque marque les esprits. Le genre d’album que tu fais écouter à tes petits-enfants quand tu as 70 ans et dont tu es toujours fier. C’est à ce moment que je me suis dit que je ne voulais pas enchaîner les morceaux comme sur un album classique, avec quelques secondes de silence entre chaque titre. Je préférais qu’il y ait une continuité, créer une sorte de voyage sonore, un univers dans lequel tu te sens bien. Ma référence en la matière est l’album Sell Out de The Who, mon préféré du groupe.
L’album s’ouvre sur le son des vagues, ce qui fait évidemment penser à ton enfance et adolescence passées en Bretagne. Faut-il y voir une certaine nostalgie ou un clin d’œil appuyé ?
Je me suis aperçu après que Divine Comedy l’avait déjà fait avec Bath. Il y a des hommages subconscients ou a posteriori sur l’album. Ça me semblait évident d’ouvrir avec le bruit des vagues. C’est un son que j’ai enregistré à l’Ile d’Yeu, sur la plage des Soux. J’y étais avec mon fils et mon ami Olivier Popincourt. Il n’y avait personne. C’était un moment de plénitude. On se faisait des films de vacances. Je suis retombé sur ces vidéos et j’ai voulu ouvrir l’album en extrayant le son des vagues. Ce titre est une déclaration d’amour à la mer, mes enfants et leur mère, la Bretagne, l’Atlantique. J’ai essayé plusieurs tracklistings. Pour chacun d’entre eux, The Sound Of The Waves ouvrait l’album.
D’une façon générale, tu connaissais bien les musiciens, le graphiste et le photographe pour la pochette. Est-ce important pour toi de travailler “en famille” ?
Oui. Olivier Popincourt est presque un frère. Helen Ferguson avait assisté à la release party du single au Walrus. J’avais joué quelques titres de l’album. Il m’a semblé remarquer qu’elle accrochait bien à Let Me Laugh Like A Drunk Witch. En échangeant le lendemain, elle me l’a confirmé. Je lui ai proposé immédiatement de chanter dessus. Même si je connais John Howard depuis peu de temps, nous nous écrivons tous les jours. Cela a créé des liens. Tonight I Need, le morceau sur lequel il chante, n’a pas été composé comme un duo. Mais j’avais vraiment envie de proposer à John de participer à l’album. Il a accepté immédiatement. Jan Stumke est un très grand artiste. C’est moi qui apportais les idées d’accords de piano ou les chœurs, mais neuf fois sur dix, c’est lui qui matérialisait le tout. C’est lui qui joue tous les claviers de l’album. Deux autres musiciens que je respecte énormément se sont joints à nous pour les répétitions et l’enregistrement en studio : Guillaume Glain, déjà présent sur le single de 2019, à la batterie et Laurent Saligault à la basse. Sans tous ces gens qui ont rendu ces morceaux meilleurs, j’aurais certainement sombré dans un ego trip.
Les arrangements du disque sont impressionnants. On sent que tu as voulu donner le meilleur de toi-même. Arranger et produire seul n’a pas été problématique par moment ?
C’était une nécessité. Si je n’avais pas été si bien entouré, ça n’aurait pas fonctionné. A part My Wounds Started Healing qui a bénéficié du travail de Sébastien Souchois, j’ai fait tous les arrangements seul. Recevoir la reconnaissance de professionnels comme Bertrand Burgalat qui a placé Hometown Boys dans sa sélection du mois dans Rock’n Folk est incroyable. Sébastien m’a dit qu’il y avait des arrangements bizarres sur ce même titre, mais que ça fonctionnait car personne d’autre que moi n’aurait pu le réaliser. Ça m’a fait chaud au cœur qu’une personne avec un tel CV valide mon travail.
D’où vient le titre de l’album ?
C’est une référence aux Beatles. Vers 65-66, McCartney a envisagé de se lancer en solo. L’album se serait appelé Paul McCartney Goes Too Far. Lennon soutenait l’idée à fond. C’est quelque chose d’hyper connu des fans hardcore des Beatles. J’ai voulu saluer sa grandeur. Que ce soit avec les Beatles ou en solo il a apporté de superbes mélodies. C’est quelqu’un d’exigeant qui a su parfois faire des trucs barrés que l’on arrive à capter. C’est ce que tous les artistes veulent faire, peu importe leur mode d’expression.
On connait ta passion pour les Beatles. Tu rends un hommage à leur batteur, Ringo Starr, sur Arise Sir Richard. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
On célèbre volontiers les trois autres Beatles, mais pas souvent Ringo. Quand on parle de lui, les gens ont tendance à sourire. C’est le dernier à être arrivé dans le groupe. C’est aussi parce qu’il est encore vivant. Que lui et Paul soient encore parmi nous est complètement dingue. Quand j’écoute les infos tous les matins, j’ai toujours peur d’apprendre la disparition de l’un d’entre eux. Comme je rends sans cesse hommage à Paul, je me suis dit qu’il était temps de rendre hommage à Ringo. C’est une chanson sur l’addiction. Il a rencontré sa femme en cure de désintoxication. Et moi je suis accro aux Beatles, et comme lui j’ai beaucoup bu à une époque. S’il n’a pas la dextérité d’un Elvin Jones, il a inventé un style. C’est un batteur hyper inventif. Il suffit d’écouter Rain ou A Day In The Life. Il formait une section rythmique de dingue avec McCartney. J’ai fait parvenir le titre à son community manager. Je ne pense pas que ça arrivera jusqu’à ses oreilles, mais on ne sait jamais !
La photo prise par Alain Bibal et le design réalisé par Pascal Blua pour la pochette collent hyper bien avec l’album. Pourrais-tu nous expliquer ce choix ?
J’ai longuement hésité à mettre une photo de moi sur la pochette. Ce n’était pas ma première idée. Avec Pascal, nous avons réfléchi à plusieurs idées. J’ai contacté l’agence Tass en Russie pour obtenir les droits d’une photo de plage au bord d’un lac du Tadjikistan. Au niveau des droits c’était juridiquement compliqué. Quand l’idée d’une photo de moi s’est imposée, je ne voulais pas quelque chose de traditionnel. Cette photo date d’une session que j’ai faite avec l’ami Bibal il y a un an et demi, quand j’ai ouvert pour Studio Electrophonique. L’expression que j’ai sur cette photo m’a toujours fait rigoler. Alain n’arrêtait pas de me faire rire, d’où ma pose. Un ami m’a dit que l’album avait un côté Monty Python avec ses collages et ses montages. Je trouve que ça matche bien avec la pochette. J’ai flashé sur la typographie avant-garde d’une affiche de la Baie Des Anges de Jacques Demy. J’ai demandé à Pascal de s’en inspirer. Je suis fier d’avoir collaboré avec ces deux artistes que j’admire.
Pour terminer, pourrais-tu nous parler de ton intention initiale avec Olivier Rocabois Goes Too Far ?
J’ai voulu afficher mon amour des mélodies, simples ou complexes, en faisant un disque pop accessible qui ne renie pas mes origines : l’underground pop français. Je veux garder un sens de l’émerveillement. C’est ce qu’il y a de plus précieux en musique. Pour cela je ne veux surtout pas avoir de formules bien arrêtées pour faire de la musique. J’ai appris à lire la musique quand j’ai travaillé à l’Opéra de Paris pour un ballet contemporain. J’ai adoré cette expérience. Pourtant, je me suis retrouvé bloqué pendant quelques semaines. Je n’arrivais plus à composer. Je ne souhaite pas avoir de connaissance théorique. Je veux que tout soit instinctif. J’ai une foi profonde envers les morceaux de l’album. Je voulais leur donner toutes leurs chances et m’affirmer en tant qu’artiste. Je trouve ce disque moins intrusif que les précédents. Je n’ai plus besoin de chercher l’approbation des autres. Cette fois je passe juste dire : salut, comment ça va ? C’est un album plus ouvert, plus généreux. C’est en quelque sorte mon acte de naissance. Le single précédent était une procréation. En parallèle, c’est aussi un moyen de fermer le grand livre des références. Je le vois comme une déclaration d’amour à toutes mes idoles. Je les vois maintenant avec un regard d’homme, plus comme un fan transi. Je n’oublierai jamais que leur musique m’a sauvé la vie. Ça fait cliché, mais c’est la vérité.
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Olivier Rocabois Goes Too Far
Acoustic Kitty / Differ-Ant
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Crédit photos : Alain Bibal