Gabriel Josipovici fait partie des auteurs injustement méconnus, mais les Éditions Quidam semblent s’être donné pour mission de faire découvrir aux lecteurs français autant de membres de cette catégorie que possible. A ce titre, nous pouvons les remercier d’avoir publié l’œuvre de l’immense B.S. Johnson – Albert Angelo, Les Malchanceux et R.A.S. Infirmière-Chef qui sont des romans absolument incontournables, ce dont peuvent témoigner tous ceux qui les ont lus.
L’histoire de Goldberg : variations est difficile à résumer, mais ce n’est pas là que réside, à mon sens, l’intérêt du roman. Au début du livre, Westfield demande à l’écrivain Samuel Goldberg de lui faire chaque soir la lecture, car il ne parvient plus à dormir, ayant épuisé toutes les tentatives pour vaincre l’insomnie sans qu’aucune ne se révèle efficace. Pour l’aider à retrouver le sommeil, Goldberg doit, en outre, inventer ce qu’il va lire, car Westfield a déjà lu tout ce qui a été écrit.
La construction du roman nous fait rapidement deviner que c’est dans ce domaine que le talent de Gabriel Josipovici va trouver à s’exprimer pleinement. Conversations épistolaires, suite de mini-récits sur un thème identique, références à l’Histoire, à la littérature et à la poésie, dialogues entre amis et mise en abîme : c’est ainsi que l’auteur a conçu son livre, délaissant la narration conventionnelle au profit d’une étonnante succession de tableaux. Josipovici a des allures d’architecte subtil, qui demande au lecteur de s’impliquer, car c’est à ce dernier qu’il revient d’assembler les pièces de l’ouvrage, pour en assurer l’unité. Goldberg : Variations est donc un jeu littéraire, mais un jeu de très haute tenue.
Gabriel Josipovici prouve une nouvelle fois que le style prime l’histoire, et surtout, que les réflexions sont au cœur de son travail. Il poursuit ainsi la construction d’une œuvre puissante, à l’écart de la fiction traditionnelle, progressant comme un équilibriste, sur un fil ténu tendu au-dessus de l’abîme. Ceux qui le suivront vivront une expérience unique et vertigineuse.
En abordant les questions du mariage, de l’amitié, de l’insatisfaction, de la solitude, de l’arbitraire, de la pensée, du choix, du sommeil, de l’art et de la création littéraire, Josipovici, dont le regard possède une acuité sans égale, semble élaborer une véritable philosophie du quotidien. On pourrait, à ce titre, le qualifier d’écrivain de l’Idée et c’est ce qui, à mon avis, fait de lui un très grand auteur, à découvrir au plus vite.
« A présent, alors qu’il était étendu dans le noir sur son lit, les yeux fixés en l’air, il avait l’impression d’être en dehors du temps, du rythme régulier et quotidien qui le protégeait de lui-même, avait l’impression que lorsqu’il commencerait à se sentir mieux au matin, il aurait déjà conscience du moment où cette sensation aurait disparu, et où tout autre sensation aurait disparu, de sorte qu’à présent il pouvait confronter la vérité et se rendre compte qu’il n’y avait absolument aucun espoir, aucun espoir venu du dehors et aucun espoir venu de lui-même, que l’espoir était une folie et toute idée de suicide était une folie, et il allait simplement devoir vivre tout ça, vivre ce que la vie avait encore à lui offrir. (…) Cette connaissance était froide, glaciale, et les mots étaient chauds, les mots étaient imprégnés d’une chaleur humaine qui, il venait de la comprendre, était une imposture et une escroquerie, les mots et l’écriture étaient les méthodes mêmes grâce auxquelles les êtres humains avaient trouvé moyen d’empêcher cette connaissance de pénétrer en eux. »
Gabriel Josipovici, Goldberg : variations, traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner, Quidam éditeur, septembre 2014
Merci à Pascal Arnaud, pour sa lecture bienveillante et l’aide apportée pendant la rédaction de cet article, et merci à Anna Valenn, qui m’a autorisé à insérer sa lecture d’un passage du roman.