Il n’a que 14 ans quand il est arrêté après les attentats du 11-Septembre. Vendu aux Américains avec l’étiquette de « terroriste » collée au front, Mohammed El-Gorani passera 8 ans à Guantánamo. C’est son histoire dont témoigne Guantánamo kid, édité chez Dargaud en partenariat avec Amnesty International.
Décembre 2017. « Je vais devoir m’arrêter là, alors que l’histoire de Mohammed n’est pas terminée ». C’est ainsi que parle Jérôme Tubiana, le scénariste de l’album, dans les pages manuscrites qui concluent la bande-dessinée. Et d’ajouter : « J’aimerais que la fin soit heureuse, mais je ne peux l’inventer ». De quoi laisser planer le doute sur les suites d’un destin extraordinaire que nul pourtant n’envie. Et pour cause, la vie de Mohammed El-Gorani est tout sauf un conte de fée.
Nous sommes en 2001. Fils d’immigrés tchadiens en Arabie saoudite, ce vendeur de rue aspire à gravir l’échelle sociale. Le voici donc qui part chez l’un de ses cousins au Pakistan, pour y prendre des cours d’informatique et d’anglais.
Mais un jour, l’adolescent est arrêté par la police, qui le soupçonne d’appartenir à al-Quaïda. Il n’a pourtant jamais entendu parler de ce nom. Quant aux attentats du 11-Septembre, qui ont eu lieu deux mois avant son arrestation, il n’y a prêté que peu d’attention. C’est dire son incompréhension et dans quel désarroi il se trouve alors.
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À partir de cet instant, la vie Mohammed El-Gorani bascule. Direction l’île de Cuba, où les Américains disposent d’une base militaire du nom de « Guantánamo ». Sur ce camp, nombre de services secrets et d’autorités officieuses vont s’intéresser au jeune Mohammed. Pour cela, tous les moyens seront bons. Intimidations, manipulations, isolement, harcèlement, coups et tortures… L’intérêt national américain est en jeu. Et il n’a pas de prix. Surtout pas celui de la vérité.
Peu importe que tout soit fait en dehors des règles de droit international. La machine à broyer est en route. Rien ni personne ne pourra l’arrêter. Pas même l’évidence des faits et la stupidité qui règne en ce bas-monde. C’est ainsi que personne ou presque ne sourcille en soutenant que Mohammed a appartenu à une cellule clandestine terroriste à Londres en 1993, alors qu’il n’avait pourtant… que 6 ans !
Au-delà du récit, qui met aux prises Mohammed avec ses geôliers et donne à voir son combat, la bande-dessinée dresse de cet homme un portrait tout en retenue. Jamais à court d’idées pour défendre son honneur et lutter contre les mauvais traitements infligés à tous, il ne cesse de prendre des coups et de subir des menaces. Mais il tient tête et tient bon.
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Le livre contribue à sa réhabilitation. Bien maigre lot de consolation au regard de l’opprobre à jamais jetée sur Mohammed et sa famille. Car même libéré et innocenté, celui-ci alimente les doutes. Avec, au bout de chaque interrogatoire, une question lancinante : « Les Américains gardent-ils quelqu’un 8 ans en prison s’il n’a rien fait ? »
La mise en scène contribue à la force du propos. Dessins en noir et blanc, simplicité du trait… Le travail d’Alexandre Franc se révèle sans fioritures, au service d’un récit de vie très documenté, dont l’émotion et l’humour ne sont pas exempts. À contrario, la sobriété des illustrations n’en fait pas un ouvrage graphique de référence où la qualité des images le disputerait à un exercice d’écriture ciselée. Mais là n’est pas l’objectif.
Malgré les promesses du président Obama, le camp de Guantánamo n’a pas été fermé et retient toujours dans ses limbes 41 personnes. Une minorité attend de passer devant une commission militaire ne répondant pas aux règles du droit. Une majorité ne peut être inculpée au vu de leurs dossiers.
De cette histoire vraie, la grande Histoire ne sait visiblement que faire. « Guantánamo Kid » est là pour nous le rappeler. Toujours utile et, sait-on jamais, un jour salutaire.