[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]e me suis longuement demandé après avoir fini la lecture de Histoire de la violence si je devais, dans ma chronique, évoquer longuement le succès du premier livre d’Edouard Louis et les polémiques sur la partie autobiographique, le fait que sa famille se sentait visée et quasiment diffamée. Fallait-il orienter ma réflexion par rapport à cela sachant que l’auteur creuse le même sillon et dit à propos de son nouveau livre qu’il est autobiographique, que pas une ligne n’est une fiction ?
Fiction ou pas, autobiographie ou pas, j’ai lu Histoire de la violence sans me poser ces questions. Elles sont venues après. Car c’est un livre qu’on garde en tête une fois terminé. Il hante. En tout cas, moi, il m’a hanté quelques jours. Et il m’habite encore au moment où j’écris ces lignes.
Bien sûr, il serait facile de gloser sur le fait qu’Edouard Louis présente sa famille sous un jour de nouveau peu agréable… Sa soeur qui parle en faisant des fautes de français assez énormes, qui se complait dans tous les stéréotypes et Edouard Louis, qui lui, écrit bien, parle bien, réfléchit, prend sa vie en main et fait des études. Tout comme il sera simple d’attaquer l’auteur à propos de cette agression subie et mis en scène ici. Là aussi la complaisance pourrait être évoquée.
Pourtant, ce n’est pas de cette façon que j’ai lu Histoire de la violence. Bien au contraire. Dès le début j’ai été happé par la puissance de ce récit dont je savais pourtant qu’il était vécu.
Edouard Louis n’hésite pas à se présenter sous un jour faible. Il parle de ses failles. Actuelles et passées. De sa souffrance et de sa solitude. Son écriture, son parti pris au niveau de la narration rend extrêmement puissant son récit. Il y a Edouard qui raconte. Il y a sa soeur à qui il a tout raconté ou presque de son agression et qui, à son tour, interprète, glose sur ce qu’a fait et subi son frère. Sa soeur qui juge. Rien de plus compliqué que la relation de ces deux là, qui ne se comprennent pas et qui malgré une enfance commune n’ont plus grand chose à voir l’un avec l’autre.
Ce titre Histoire de la violence au lieu de choisir « Une histoire violente », manifeste quelque chose de presque sociologique. Une volonté d’Edouard Louis de se placer dans l’analyse plutôt que dans le vécu et les sentiments. Or, s’il y a incontestablement une analyse sociologique, elle ne me semble pas forcément du côté de la violence mais plutôt dans les relations familiales de frère-soeur, de beau-frère à beau-frère.
Et puis, il y a Reda. Le soir de Noël, le narrateur, seul, marche dans la rue. Il est abordé par un homme, Reda, qui lui fait des avances. Il le laisse monter chez lui et après une relation sexuelle consentie, Reda vole un portable, une tablette. Edouard s’en rend compte, demande la restitution des objets. Reda se braque, le menace avec un pistolet, l’attache, tente de l’étrangler et le viole.
Relation très dérangeante décrite par Edouard Louis car si Reda est violent, il semble aussi perdu que sa victime. Regrette son agression, n’ose aller jusqu’au bout, tente de s’excuser, de se justifier, demande pardon. Et Edouard, malgré la violence de l’agression, n’est pas si loin de comprendre cet homme. Se refuse à porter plainte et n’y va que contraint par ses amis.
Une ambivalence se joue entre eux qui interloque le lecteur et participe grandement à la puissance du récit.
Histoire de la violence de Edouard Louis, Editions du Seuil, janvier 2016
Des extraits ont été mis à votre disposition par l’éditeur ici.
Photo bandeau : AFP / JOEL SAGET