[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#495376″]P[/mks_dropcap]arfois des livres très courts peuvent vous laisser une marque indélébile longtemps après l’avoir refermé. Hiver à Sokcho d’Elisa Shua Dusarpin chez Zoe, fait partie de cette trempe de livres qui vous touchent au plus profond de votre être.
L’histoire est désarmante de simplicité, c’est ce qui fait une grande partie de son charme et de sa singularité. Nous sommes à Sokcho, une petite ville où un port semble endormi, une lente indolence règne, imperturbable, les filets de pêche sont quasiment tous remisés, quelques rares bateaux reviennent de campagnes au large souvent infructueuses, il commence à faire frais, voire très froid, un vent glacial venant du large balaye les rues vides, la nuit tombe vite, les corps des autochtones sont fatigués, usés par le temps, mais il faut bien s’occuper.
Une jeune franco-coréenne gère, mais c’est un grand mot, une sorte d’auberge. Un jour elle accueille un français, il s’appelle Yan Kerrand, il vient de Normandie et il est dessinateur de bande dessinée. Notre jeune narratrice est accaparée par sa mère qui lui prodigue une éducation principalement à faire la cuisine, elle s’inquiète de voir sa fille maigrir, la nourriture devient une priorité, un leitmotiv, en vue d’un mariage peut être ? Surtout qu’il y a Jun-oh qui tourne autour…
Mais la curiosité de la jeune fille est attirée par tout autre chose. Les coups de pinceaux du dessinateur attisent son envie d’en savoir plus sur le travail de ce dernier, qui semble tâtonner, il n’est pas content de lui, il cherche une technique mais il paraît perplexe. Elle voit un corps ou distingue une forme de cet acabit. Mais qu’est donc venu chercher cet homme à moins que cela soit une fuite ? Quand elle le questionne, il est évasif, presque taiseux, il est fourbu parfois désagréable.
Ils vont continuer cet évitement longtemps, se parler sans trop se découvrir, des situations pleines de quiproquos et d’équivoque, les corps vont se frôler sans se toucher… Elle meurt d’envie de lui poser une question mais le fera t’elle au risque de rompre le fragile équilibre…
Ce roman minimaliste est superbement maîtrisé de bout en bout. Il utilise avec perfection l’art de la suggestion, de ne pas trop dévoyer ce qui se joue, avec des phrases courtes, des ellipses, des non-dits qui nous donnent une émotion pure, on est plus que touché par la délicatesse de l’écriture où il ne se passe pas grand chose, juste l’effleurement de deux êtres. Il faut saluer ce livre écrit sans fausse note où tout est à sa place, pas un mot de trop. Un premier roman éblouissant.
Hiver à Sokcho d’Elisa Shua Dusapin, éditions Zoé, août 2016.