Le réalisateur franco-tchèque Petr Vaclav signe avec Il Boemo son premier « biopic » historique, sur le compositeur Josef Myslivecek, surnommé « Il Boemo », (qui vient de la Bohême) car d’origine tchèque, qui fit une carrière exceptionnelle dans l’Italie du XVIIIème siècle mais dont la renommée semble s’être éteinte après sa disparition, dans la déchéance. Le film propose de découvrir un véritable génie oublié que le jeune Mozart admirait.
Il Boemo au delà d’une fresque historique concentrée sur la carrière fulgurante – mais brève – de Josef Myslivecek, est avant tout un contrat de loyauté vis à vis de l’histoire, pour son réalisateur Petr Vaclav qui l’explique dans un échange avec l’historien de la musique Patrick Barbier, « c’est véritablement une loi non écrite, une loi éthique : il ne faut pas tricher avec l’Histoire. » Comme le rappelle l’historien, en effet « on ne triche pas avec un personnage ayant réellement existé, même si on lui invente des émotions, des sentiments, le cadre historique, social, politique ou religieux dans lequel ce récit s’insère doit être respecté ».
Le film réussit brillament ce pari en nous plongeant dans la Venise libertine de 1765, grâce à des costumes somptueux et une photographie digne de tableaux de maître (signés respectivement par Andrea Cavalletto et Diego Romero Suarez Llanos), pour découvrir ce fameux Josef Myslivecek (1737-1781) fils d’un minotier Praguois qui devint l’auteur le plus prolifique de l’opéra sérieux italien des années 1770.
Alors pourquoi son nom n’a t’il pas résonné jusqu’à nous ? Sa fin tragique, à seulement 43 ans, dans la maladie (il est mort de la syphilis), a précipité l’oubli de son œuvre pourtant colossale, à une époque où les artistes étaient tout à la fois portés aux nues et méprisés en un tour de main par l’aristocratie dont ils dépendaient financièrement. Pour incarner ce musicien habité, c’est l’acteur et musicien tchèque Vojtech Dyk qui a été choisi, grâce à son oreille musicale il a appris l’ensemble du texte en italien – la distribution du film étant italienne – et a pu réellement jouer du clavecin. Nous découvrons à l’image à la fois l’homme et son œuvre, par une interprétation magistrale et des scènes d’opéra vécues en coulisses, dans la salle, comme sur scène, à couper le souffle.
Entre liaisons amoureuses, moments de solitude extrême et de doute, l’artiste est aux prises avec les passions de son époque, et comme ses contemporains, par le manque permanent d’argent. On le verra ensuite tenter de survivre malgré sa maladie, il se dissimulera le visage sous un masque pour cacher la béance de son visage ravagé, continuant à diriger ses opéras jusqu’au bout de ses forces. Un constant souci de véracité et un grand sens du détail traversent cette fresque historiques qui nous fait suivre le compositeur de ses débuts balbutiants à la gloire, entourés par des personnages qui l’accompagneront sur ce chemin, notamment des alliées féminines (une jeune étudiante à qui il donne des cours de violoncelle qui finit par s’éprendre de lui, une noble Vénitienne, amante vénéneuse qui l’introduira auprès de la Noblesse, la Gabrielli, plus célèbre cantactrice de son temps, adulée autant que détestée, et une jeune Baronne, grand amour platonique et épistolaire empli de poésie incarné par l’actrice russo-italienne Lana Vlady).
Grâce à un travail de longue haleine (le réalisateur et scénariste Petr Vaclav a commencé à travailler sur le projet il y a dix ans), de documentation nourrie sur l’époque à travers énormément de lectures de correspondances et d’ouvrages du XVIIIème siècle, avant 1790 pour coller au plus près à l’époque où se déroule le film (Histoire de ma vie de Casanova et Correspondance de Mozart firent partie des oeuvres les plus marquantes pour écrire le scénario), et au chef d’orchestre Vaclav Luks qui a rescuscité les partitions (les très frares enregistrements existant de la musique de Myslivecek étant de piètre qualité), Il Boemo nous donne à entendre pour la première fois la musique du compositeur oublié. Et cela, en même temps que nous voyons le public italien la découvrir à l’image, c’est beau et troublant, comme l’Aria que chante la Gabrielli, d’une intensité incroyable.
On a comparé Myslivecek à Mozart, le film nous montre leur rencontre (dans une scène magnifique entre l’enfant-génie plein de candeur et un homme adulte empli également d’admiration pour le jeune prodige avide de conseils) -une réelle admiration du jeune Wolfgang Amadeus pour son aîné est attestée par des écrits, on ne comparera pas Il Boemo à l’Amadeus de Milos Forman, tant le film de Petr Vaclav retrace sur une courte période ce que fut le tourbillon éclatant de la carrière de son protagoniste, avec au coeur le besoin de ne raconter que l’histoire vraie, là où le film de Milos Forman prenait d’énormes libertés historiques pour mettre en avant la rivalité supposée Mozart/Salieri.
Il faut aller voir cette grandiose fresque musicale et historique, en attendant d’assister prochainement à un vrai opéra signé Myslivecek auquel Petr Vaclav rêve un jour de donner vie.
Il Boemo · Petr Vaclav
Nour Films – 21 juin 2023