[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]B[/mks_dropcap]egbie est de retour, mais aujourd’hui, on l’appelle Jim Francis. Aujourd’hui, il vit en Californie, à Santa Barbara, avec sa femme Mélanie et leurs deux adorables petites filles Eve et Grace. Ah, vous ne savez pas qui est Begbie ? Bien sûr que si, que vous ayez lu ou non les deux Trainspotting et le prequel, Skagboys. Car vous avez forcément vu un des deux films. Begbie, incarné à l’écran par Robert Carlyle, c’est le grand malade, le sadique violent qu’on a laissé en prison, la dernière fois qu’on a eu de ses nouvelles. Donc Jim Francis, alias Begbie, a quitté Edimbourg, s’est marié avec l’art thérapeute Mélanie qui s’est occupé de lui en prison, est devenu une vedette de l’art contemporain, s’est forgé une culture à force de lectures, et s’est installé au soleil, tranquille. Aujourd’hui, il gagne bien sa vie grâce à ses créations, des sculptures représentant des stars de Hollywood auxquelles il inflige de spectaculaires mutilations. Artistiques cette fois. Une histoire de rédemption donc ? Ce serait mal connaître Irvine Welsh…
Le roman commence par une scène familiale : Jim Francis, sa femme et ses deux filles batifolent sur la plage et dans l’eau. Quand deux hommes à la mine patibulaire s’approchent de Melanie et de Grace, visiblement animés d’intentions peu amicales. Jim accourt et les met en fuite, et la petite famille rentre à la maison. Qui sont ces deux hommes ? Pourquoi en veulent-ils à la famille de Jim/Begbie ? Le passé serait-il en train de prendre sa revanche ? Toujours est-il que pour couronner le tout, Jim apprend que l’un des fils qu’il a eus avec sa petite amie à Edimbourg, il y a plus de vingt ans, et qu’il n’a pratiquement jamais connu, vient d’être assassiné. On ne peut pas dire que ça bouleverse Jim et que ça réveille son instinct paternel : pour lui, cette vie-là est derrière lui, et les deux fils qu’il a eus avant Melanie n’existent pas, c’est aussi simple que ça. Mais quand même, il lui reste un peu d’instinct familial… Le voilà donc parti pour Edimbourg, seul, sans femme ni enfants… C’est que là-bas, c’est une autre famille qu’il va retrouver, et une vie qu’il aurait préféré laisser aux oubliettes…
Edimbourg, changement de climat, changement d’ambiance. Jamais Jim n’aurait imaginé y retourner… La sœur de Jim, Elspeth, vit dans le quartier de Murrayfield. Pas vraiment le rendez-vous des touristes, sauf peut-être les amateurs de rugby, des petites maisons modestes, mal fichues, un quartier populaire, quoi ! On n’est plus à Santa Barbara et Begbie n’a qu’une envie : que tout ça se termine le plus vite possible. Mais on ne se débarrasse pas aussi facilement de sa famille, de ses « amis » et de sa ville, même quand on s’appelle Begbie.
Tout au long du roman, le lecteur est rivé aux basques de Jim/Begbie. Et il assiste à ses retrouvailles forcées avec sa sœur Elspeth, son mari, June la mère de ses fils, obèse et sous médocs. Et puis les copains, et les copains des copains. Quand on revient à Edimbourg avec la réputation d’avoir côtoyé George Clooney, ça attire du monde, et pas forcément celui qu’on voudrait. Fatalement, ça tourne au vinaigre vu que Begbie, tout de même, aimerait bien savoir qui a éliminé son fils. La famille, tout ça… Et il ne va pas être déçu. Tout semble être contre lui. Même son Iphone de compétition le lâche, le voilà obligé d’acheter un minable portable à carte au supermarché du coin… on dirait que les objets de luxe ne veulent pas l’accompagner dans sa ville natale… Du côté des humains, c’est simple : soit ils sont complètement à la ramasse, soit ils sont restés du côté obscur. Certains même, les moins malins, cumulent les deux situations.
Très vite, dès l’arrivée du héros à Edimbourg en fait, on retrouve l’écriture de Welsh et le parler écossais, qui colle des consonnes là où il ne devrait pas y en avoir et supprime autant de voyelles, une langue qui, soit dit en passant, doit donner du fil à retordre au traducteur. Et cette langue, qui s’en donne à cœur joie, surtout dans les dialogues, le point fort de Welsh, nous replonge tout de suite dans l’atmosphère de Trainspotting. Begbie retrouve les lieux d’autrefois, le quartier de Leith même s’il a bien changé, les docks, les pubs. On ne fait pas dans le tourisme avec Irvine Welsh : tout se passe dans les quartiers excentrés d’Edimbourg, et c’est à peu près comme si la « belle » ville, celle des bourgeois et des touristes, n’existait pas. Car étrangement, Begbie, qui a quand même les moyens, ne s’offre pas un chouette hôtel, ne loue pas la belle voiture. Comme si en ces lieux-là, ça n’était pas permis… A force de se pencher sur son passé, Begbie remonte jusqu’à l’origine, et Irvine Welsh, enfin, nous livre une partie de son secret, de ce qui a fait de lui ce qu’il est, et qu’il ne cessera jamais d’être, probablement, malgré une réinsertion spectaculaire. L’histoire avance à toute blinde, Welsh ne nous épargne ni les scènes de violence qui sont la signature de Begbie, ni les révélations les plus révoltantes. Bref, il n’a en rien perdu la main, même si ces hommes auxquels on trouvait des excuses quand ils avaient 20 ans, dont on suivait les aventures avec un sourire crispé au coin des lèvres, éveillent aujourd’hui un sentiment qui ressemble à de la pitié et donnent à réfléchir sur le destin social et la fatalité…