Cher lecteur,
J’espère que vous me pardonnerez l’emploi peu habituel de la première personne du singulier que je vais faire dans la présentation de ce petit article, mais vous comprendrez très vite pourquoi je n’ai pas employé ce « nous » générique si étrange que l’on utilise dans les articles de journaux. C’est à dire que je ne vais parler qu’en mon nom. Parce que, voyez-vous, cet article, je me dois de l’écrire à cause de la fin de l’année. Oui, cette satanée fin d’année, qui nous oblige à se dépêcher de faire des « bilans », à dresser des « listes » plus ou moins définitives, à se « remémorer » l’année passée, même quand on n’a pas de mémoire, à avoir un avis quasi-définitif même quand on est une girouette.
Et là, il s’est passé un truc. « Le bilan approche », « TOPS ARE COMING ». Alors, en bon élève au final assez peu studieux, j’ai rendu ma copie, et là, stupeur, que rien (enfin si, j’abuse, mais faisons comme si) ne laissait deviner : cette liste était pleine de disques japonais. Enfin, pleine, c’est pareil, j’abuse, il y en a quelques uns quoi. Mais avant, il n’y en avait pas. Que s’est-il donc passé? Un vent de panique se mit à souffler sur la rédaction, on me grondait presque. Mais qu’est-ce que c’est que ça, déjà que je ne m’exprime qu’une fois par an, entendais-je, soufflé sournoisement dans mon oreille paranoïaque, en plus quand je fais mon bilan je mets plein de choses DONT ON N’A JAMAIS PARLÉ ? Ca n’irait pas, non non.
Alors, plein de fougue et avec une vigueur renouvelée, je pris le pari fou et insensé de faire un AUTRE ARTICLE. Mon collègue Frank en fit un malaise vagal : c’était, à priori, trop pour lui. Mon autre collègue Ivlo, ivre de joie, sans faire attention, cita mon nom dans un de ses articles : une chose folle et insensée qui pourrait bien lui apporter malheur et opprobre, mais il n’en avait cure. J’allais parler de ces quelques disques japonais qui trouvèrent tant grâce à mes oreilles qu’ils finirent dans un top annuel, où bien d’autres disques fabuleux auraient pu figurer.
LA GÉNÈSE
C’est par une voie inhabituelle que je mis une oreille dans un monde musical inédit, que je ne soupçonnais même pas. Après avoir vu une émission de l’émission (aujourd’hui en stand by) THIS EXISTS consacrée au mouvement anti-idol où je vis des choses absolument hallucinantes (dont la terrible Hanakosan qui violente son public), je me tournai vers un de mes amis amateurs de noise qui m’orienta vers les disques de BiS-Kaiden. Ceux-ci s’avérant extrêmement bruyants et difficiles, même si terriblement addictifs, deux choses me convainquirent de persévérer.
CETTE VIDÉO :
Et le label Specific Records, qui importe bon nombre de ces merveilles sur notre continent, et dont on reparlera plus loin.
Pour la vidéo, pas grand chose à en dire, mais elle est très représentative du flou dans lequel nagent les productions nippones vues de chez nous. D’abord, la culture Idol, c’est quelque chose qu’on a du mal à appréhender. Toutes ces jeunes filles (interchangeables, parfois, on le verra plus loin) qui chantent en costume, pour un quidam moyen de chez nous, ça ne fait pas très sérieux, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est un business redoutable, mais souvent éphémère. Par exemple, le groupe que l’on voit ici (Yamatsuki Company) n’existe plus. Il n’a fait que ce titre, composé par Eve-san, et qui se trouve être une version live d’un générique de dessin animé au départ chanté par un vocaloïd (oui, au Japon, les intelligences artificielles chantent, c’est le futur…) Mais le titre a une qualité de composition indéniable. Mélangeant allègrement musique populaire et brutale (les cris au milieu sont inattendus) sur une esthétique kawaï, la surprise est grande pour nos oreilles peu habituées à tant de mélanges. Mélange rythmique, mélange de genre, mélange de publics, mélange de discours… on a du mal à s’y retrouver.
Deux autres exemples illustrent ce propos. Deux exemples qui se retrouveront dans mon bilan de fin d’année pour avoir fait des disques de qualité, complètement atypiques.
CANDYE SYRUP OU LA RENCONTRE HYPÉE DES EXTRÊMES
Le premier est tout aussi artificiel que le précédent. Candye Syrup sont nées de la volonté d’un coiffeur-créateur de mode de se faire de la publicité, de vendre ses costumes et de mélanger musique brutale et musique populaire, à l’instar de ce qui se fait déjà au Japon depuis quelques années, depuis que les groupes d’idoles (les girl-bands locaux) ont décidé de s’ouvrir à un plus large public et à élargir leur registre musical, en faisant appel aux meilleurs compositeurs de l’archipel, officiant souvent dans les milieux de la bande originale (films, anime…) ou du metal. BiS furent peut-être dans les premières à faire cela, ça les mènera de la pop gnan-gnan jusqu’au noise harsh et à la schizophrénie (aujourd’hui deux groupes co-existent avec des membres différents, sortant les mêmes singles, pour lesquels le public doit voter…).
Mélanger pop bubblegum kawai et musique ultrabrutale : le concept paraissait fumeux, déjà vu, maladroit. Mais dès leur premier single, on s’est rendu compte que c’était non seulement sérieux mais qu’en plus, le tout fonctionnait. En ont résulté un album et un EP étranges, mélange iconoclaste de hardcore, de metal, de guimauve, de reggae avec des textes extrêmement provocateurs et virulents, allant même jusqu’à sortir des singles dont le refrain n’est autre que FUCK YOU. Le groupe est allé faire un petit tour aux USA, a donné quelques interviews où on a bien vu que la plupart des membres n’avaient pas grand chose à dire, et puis tout ce petit monde s’est séparé et les plus sérieuses (dont la leader Non) sont reparties jouer avec des vrais groupes de rock, prouvant ainsi d’où elles venaient. Les autres font de la variété ou ont disparu.
BROKEN BY THE SCREAM OU LA LÉGITIMITÉ ROCK
Le parcours de ce groupe est très différent. On a ici affaire à un girls-band qui, dès le début, a affiché des ambitions très rock et très posées, beaucoup moins bordéliques. Deux filles chantent des refrains pop, les deux autres hurlent des chansons hardcore. Tout ce petit monde se retrouve sur une bande son très metal, très technique et très complexe. Mais ici, la popularité et la légitimité du groupe s’est rapidement faite sur le fait que, dès la sortie de leur premier EP, les filles ont décrété ne plus être un groupe idol, ont jeté les costumes et les chorégraphies aux orties, et ont embauché un groupe de rock en l’intégrant dans le line-up. A noter que Broken by the Scream composent et produisent eux-mêmes leurs disques. Un format plus proche de ce qu’on connaît dans nos contrées, qui pourrait assurer une percée en Occident rapidement.
JYUJYU ET NECRONOMIDOL, LES LOLITA GOTHIQUES
Avant de revenir à des groupes plus « traditionnels », penchons-nous sur une dernière trouvaille dans le monde des idols. JyuJyu est un groupe qui a grandi au cours du temps, d’abord duo, puis trio, puis quatuor, avec des membres fluctuants, selon cette règle japonaise qui brouille les pistes (les quatre membres de Mistress, un autre girl-band porté sur le rock, ont cette année été remplacées, et le groupe continue sans aucun membre originel… étrange mais normal au Japon.) Leur imagerie à elles s’apparente au gothique et si leurs disques sont assez difficiles à dénicher, la production y est impeccable et les mélodies addictives. L’artwork, comme souvent chez ces groupes hautement visuels, est également splendide.
… Un petit mot également pour citer les reines du genre, connues jusque dans nos contrées grâce au label messin Specific, Necronomidol. Leur configuration est identique à celle de BBTS, c’est à dire qu’elles embarquent avec elles un groupe de metal au complet. Jouant sur les codes lovecraftiens et l’imagerie black metal, elles ont sorti cette année leur tout meilleur album, Voidhymn, loin, très loin de toute variété pop et naïve. L’avenir, même si incertain (deux membres du groupe dont la fondatrice et icône visuelle Sari s’en vont, mais seront remplacées, selon cette sacro-sainte règle de la rotation des membres des groupes idol), pourrait en faire un des rares groupes anti-idol connus dans le monde entier.
…AND THE WINNER IS…
Mais le tout meilleur album japonais de l’année, hommage à peine appuyé au psychédélisme de Cornelius, dont le groupe se réclame (et par qui il semble adoubé), est l’incroyable A world without Walls de Minna No-Kodomochan. Ce duo, dont on ne sait pas grand chose par ici, a sorti une sorte d’odyssée complètement barrée qui convoque à peu près tous les styles de musique psychédélique possibles et imaginables, sans jamais trop en faire, et sans jamais sombrer dans l’abus ou l’auto-parodie comme beaucoup de groupes du style. Pas d’excès, pas de folie excessive, mais un trip inoubliable. Essayez, vous n’en reviendrez pas.
Voilà, cette fois-ci, vous êtes probablement mieux armés pour comprendre les étranges noms que je vais citer en fin d’année en disant: « Hey, ces disques, j’aurais pas cru, mais c’est de la balle en vrai ».
PS: Citons quand même au passage (même si on sort du sujet car ce n’est pas du tout le même style musical) les excellentes Band-Maid, groupe de heavy-metal virtuose entièrement féminin, qui vient enfin de percer internationalement avec sa première tournée mondiale. WAY TO GO, GIRLS!
https://youtu.be/YeiIju_t1D8
Ci-jointe une playlist pour découvrir à votre aise le monde étrange de l’anti-idol japonais, avec entre autres les extraordinaires icônes indie Oyasumi Hologram. Attention, âmes sensibles s’abstenir, certaines vidéos peuvent être choquantes, autant pour les yeux que pour les oreilles.