En 1998, Jay-Jay Johanson accompagné de Valérie Leulliot se présentait à nous au titre d’une identité déclinée via le titre éponyme issu du deuxième album Tattoo. Passée la lecture de cette fiche signalétique, il était peut-être moins commode de déceler la véritable personnalité du grand suédois. Certes, au fil de sorties successives, nous avions deviné la nature sensible du garçon ainsi que sa grande affection autant pour le jazz que pour les sonorités électroniques.
Mais qui se cache véritablement derrière celui qui, à l’état civil, se prénomme Jäje Johanson et qui pose ici sur le noir et blanc d’un polaroid ?
De manière condensée, la réponse est sans doute à creuser du côté de sa discographie pour le moins fournie, incarnant une constance classe tout en défrichant au gré des productions de nouvelles pistes. Il est vrai que l’artiste est particulièrement productif, animé par une espèce de boulimie créatrice, au grand bonheur d’ailleurs du fan absolu que je suis.
A ce titre, préfigurant les grandes lignes à venir, la parenthèse gourmande Silver Screen aura permis au cinéphile de s’adonner au plaisir de reprises de standards rendus célèbres grâce au grand écran. Dans la foulée, Portfolio se chargera de porter le troisième volet des compilations de l’intéressé (attaché exclusivement cette fois-ci à la période entre 2014 et 2022) … Un « best of » qui dévoile déjà Labyrinth, également mis en exergue au titre d’un excellent EP. Une fois encore, nous sommes les spectateurs précipités dans les dédales de l’Amour, même si la délicatesse pleine de réverbérations nous berce de son charme absolu. La chanson souligne le lien transitoire entre un cycle qui s’achève et d’inédites aventures finement sculptées.
Nous retrouvons donc cet énième accomplissement charnel au cœur de la nouvelle œuvre intitulée Fetish, un album qui résonne comme un flash-back savamment mis aux goûts du jour. L’expérience acquise ne gâchant en rien le ressenti général d’une partition disparate bien que conduite par un fil conducteur forcement identifiable et qui pourrait laisser supposer, à tort, une sorte de stagnation environnante.
En fait, le disque présente plusieurs facettes. De son ouverture quelque peu souffreteuse dont les boiseries et roulements de contrebasse viennent magnifier le groove de cette singulière entrée en matière (Seine) aux contours rythmiques plus ensoleillés d’un trip-hop de crooner (I Did My Best) sans oublier les vibrations d’une pop électronique qui explore des reformulations contagieuses et envoutantes (The Stars Align), soit autant de perspectives qui se dégustent avec l’originalité d’un patchwork dont la trame serait à la fois un rappel du passé tout en se projetant vers l’avenir.
Jay-Jay Johanson passe à la moulinette ses aspirations multiples, d’un drum & bass exalté à un héritage assumé depuis ces débuts, tel un clin d’œil en direction des plus grands. Cette fois-ci, le compositeur Johannes Brahms servira de bon prétexte afin de servir la mélodie attachante de Finally. Quel régal d’ailleurs que ce timbre lumineux du chanteur ayant pour compagnon les effets ornithologiques d’une flute ! Bref, tout un programme que le regretté Serge Gainsbourg aura également usé pour les besoins d’une offrande à sa muse de l’époque. Ceci est une autre histoire…
Au programme, la fragilité émouvante d’une ballade synthétique viendra également compléter les couleurs du tableau (Summer Night Of Love) tout comme la touche de spleen confus suscité par un piano inspiré (Andy Warhols Flesh For Frankenstein).
Alternant entre des humeurs lorgnant du côté du Modern Jazz Quartet (formation adulée jadis par son père et citée expressément par lui-même) et une dissemblance poussée aux lueurs de sursauts plus dansants, la richesse de l’ouvrage est sciemment forgée par le désir de dualité.
En tout état de cause, Fetish s’ajoute pleinement à la tentation frénétique de définir son auteur. J’avoue que si ma curiosité m’a poussé à y percer les indices d’une complexe sensation, le mystère qui s’en détache n’est pas non plus pour me déplaire.
Crédits photos : Julien Sitruk
Jay-Jay Johanson · Fetish
29Music – 9/06/2023