[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C'[/mks_dropcap]est toujours difficile de devoir remettre une couche, repasser la brosse à reluire alors que l’on a déjà tout exposé, l’affirmation une énième fois de sa véritable sympathie (pour ne dire plus) envers une musique qui bouleverse, bien que n’étant pas diffusée au point de susciter l’admiration de toute un monde se disant pourtant cultivé.
D’ailleurs, je voudrais tant crier dans la rue mon incompréhension face aux carences des récalcitrants et autres béotiens …
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]O[/mks_dropcap]ui, j’aime profondément Jay-Jay Johanson depuis maintenant plus de vingt ans et je réfute l’idée saugrenue que son parcours artistique puisse être jugé exclusivement à l’aune de ses captivants débuts. C’est toujours l’écueil possible avec une œuvre qui s’apprivoise avant d’être adoptée puis, les années qui passent, se morfondre pour ces fleurs qui fanent au regard de quelques bons mais lointains souvenirs.
Non, avec l’élégant suédois il n’y a pas eu cette rupture, à peine une parenthèse hors du cadre à l’époque d’Antenna puis de l’étrange Rush. Certains vous diront justement que rien n’a bougé, le portrait de son auteur semblant même insensible aux affres du temps. Ceci n’est que fadaise, quand bien même il y aurait ce même fil conducteur qui relie chaque pièce discographique.
En 2017, Bury The Hatchet mettait en avant les qualités pianistiques de notre ami. Deux ans avant, Opium se révélait une très bonne livraison chargée de pulsations cool et d’instrumentations hantées. Comment ne pas évoquer également le sous-estimé Spellbound dont les accents lorgnant sur le modèle Chet Baker résonnent encore dans les oreilles des mélomanes avertis ?
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]ous allez me rétorquer que je suis bien gentil garçon et peut-être même que ma vision se trouve biaisée par des œillères imaginaires mais qu’en est-il vraiment en cette année 2019, à l’heure où la tendance est aux traficotages en tous genres, aux superpositions des styles ?
J’ai envie de vous répondre que Jay-Jay Johanson n’a jamais été aussi bien à sa place grâce à sa stature de grand sage, gonflée autant par l’expérience d’une simplicité non dénuée d’exigence que d’un souffle de modernité puisant habilement sa veine dans les reflets d’antan.
Il y a plusieurs mois, l’intéressé sondait son public au travers d’un questionnement qui voulait déterminer auprès des fans l’album le plus marquant de sa carrière. J’avais répondu sans hésitation en faveur de Poison, pièce maîtresse sortie le 8 mai 2000, fortement inscrite au sein de la mouvance trip-hop et magnifiée à souhait par des chansons aujourd’hui encore sans ride.
Beaucoup de participants avaient également mis en avant cet épisode qui alliait le meilleur des collages dans l’optique de façonner une musique inventive tout en étant foncièrement habitée. Avec les douze morceaux qui composent Kings Cross, j’ose clamer haut et fort que le nouvel album studio frôle cette excellence sans pour autant en être un vulgaire calque. Preuve en est, sur la photo de couverture, Laura Delicata (son épouse) n’a pas daigné convoquer le corbeau!
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]ès l’entame, c’est l’humeur boudeuse de Not Time Yet qui déverse son swing au ralenti pour emporter une basse lancinante vers une mélodie succulente. En négatif, Heard Somebody Whistle redonne un semblant d’humeur guillerette grâce à son sifflement qui vient instantanément accrocher les esprits. Smoke, dans la foulée, joue avec des battements empruntés aux humeurs hip-hop tout en laissant de l’espace vital au crooner taciturne, toujours bien calé grâce à des ornements vintage (sans jamais pouvoir être taxé de poseur désuet).
C’est en fait Lost Forever qui va faire exploser le compteur des cœurs sur les tablettes : le titre est imparable, nappé de douces et mélancoliques réverbérations, un alliage magnifique au fond des vapeurs concoctées en collaboration avec Robin Guthrie. C’est enfin la concrétisation d’une rencontre entre la voix de velours du scandinave et les guitares ingénieuses de l’ex figure des Cocteau Twins. Un vrai régal pour les oreilles comme pour le palpitant, une douceur qui donne du sens à cette parfaite illustration sensorielle concrétisée par un adage « glad to be sad » lui allant comme un gant.
La suite ne pioche pas et varie des douceurs agréables d’Hallucination qui retourne aux fondamentaux puis les cordes qui s’envolent d’Old Dog, comme des giboulées symbolisées par cette grisaille laissant pourtant poindre une alternative brillante et dont la fragilité d’exécution présage d’un larmoyant avenir. Il faudra un clavier bien accordé pour se placer au titre de soutien pas exclusivement moral.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]u casting, ajoutons la présence de Jeanne Added pour le duo Fever dont le tempo rempli de finesse combine mesure et délectation tel le chant d’un oisillon tombé du nid. La fin du recueil viendra achever à merveille le fameux labeur : d’une flûte qui semble échappée de la dernière folie d’une célèbre diva islandaise (Swift Kick in the Butt) avant une énième ballade cafardeuse, cette fois-ci anoblie par We Used To Be So Closed dont les rallonges s’étendent dans une infinie beauté qui expose les confidences sur un lit de musique ambient. Clap de fin sur les derniers accords de Dead End Playing, placé en bout de course avec ses vibrations sombres et autres aspérités chuchotées.
Bref, autant de matière à décortiquer et jauger mais une chose est certaine, ce que nous venons d’entendre mérite toutes les flatteries. A titre personnel, bien plus … ce que j’appelle une fervente affection !
Kings Cross de Jay-Jay Johanson
disponible chez 29 Music depuis le 19 avril 2019