Underbar … Notre crooner suédois préféré est de retour avec dans sa musette les éternelles vibrations appareillées d’une subtile élégance. Jubilation à peine contenue au moment de retrouver la voix caressante d’un Jay Jay Johanson toujours fidèle aux harmonies les plus mélancoliques. Un sourire sur mes lèvres malgré une énième pochette cafardeuse venue nous annoncer des délices opiacés.
Dixième album qui vient compléter une liste épatante entamée en 1997 avec un album Whiskey dont l’éthylique structure avait conquis plus d’un curieux du côté de l’indie way of life. Mélange alors chez ce grand blond de délicatesses et de modernités attractives. La recette fut développée sur des sonorités plus exotiques avec le deuxième opus (Tatoo) avant de mener la chose à son paroxysme hitchcockien sur cette pièce maîtresse toujours inégalée sortie en 2000 : Poison, troisième album d’une profondeur immense qui, au fil du temps, n’aura pris aucune ride malgré la relative ancienneté de sa délivrance. Indubitablement une pièce essentielle de la musique pop contemporaine.
Quelques expériences heureuses et peu de bémols au fil des saisons mais toujours chez Jay Jay Johanson la même trame, agencée ici et là selon les modes et envies. Une chronologie mettant en exergue ce chant d’une limpidité redoutable, un timbre qui dès les premières secondes donne le ton, quelque part entre douce amertume et magnificence assumée.
Il y eu alors ce petit miracle il y a quatre ans. Spellbound ou l’hommage appuyé au grand Chet Baker. Une bifurcation sans artifice dont le résultat ne pouvait que me combler. Ce fut alors une ombre magnifique du dandy qui nous apparaissait. La sobriété des structures pour des reliefs nostalgiques exquis …
En cette année de quinzième anniversaire des saveurs empoisonnées, c’est Opium qui vient s’asseoir dans mon auditorium domestique. Je suis déjà bien installé, conquis d’avance par Moonshine qui annonce le meilleur. La rythmique est soutenue et riche. De ce souffle cuivré émane la sensation que l’intéressé a retrouvé un certain élan. Le dealer c’est donc lui et comme en matière d’addiction je suis un bon client, je me laisse tendrement glisser.
S’il fallait alors tenter de décrocher, la petite dose narcotique pourrait se dissoudre dans cet EP qui préfigure la sortie de l’album et qui aura le mérite de contenir la reprise du sublime Laura de Bat For Lashes. Là encore, la sensibilité de Jay Jay Johanson vient me tirer quelques brumes oculaires. Finalement loin d’être un palliatif puisque je replonge de plus belle dans les vapeurs toxiques décrites par son auteur en ces quelques mots :
« L’intention avec Opium était de composer autant de magnifiques chansons que possible et de les produire de façon aussi intéressante que possible, avec plein de breaks cool et d’instrumentations hantées, des guitares et des cordes magnifiques, des constructions de batteries et de rythmes mystérieuses »
Ma dépendance qui s’émeut devant la galerie des odes consacrées à la déception amoureuse. Thématique qui reste le fil conducteur d’une discographie excellemment nourrie en la matière. Pour ce nouveau millésime, c’est I love Him So qui vient nous en remémorer la litanie (The Girl I Love is Gone, She Doesn’t Live Here Anymore, Alone Again, The Beginning of The End Of Us …)
Disque après disque, le genre diffère mais le chagrin contagieux est toujours bien présent. Se dire alors que pour chaque sortie larmoyante, on a juste envie de prendre dans ses bras le malheureux. On comprend alors mieux pourquoi l’auteur, compositeur et interprète fut bouleversé par les humeurs du Dummy de Portishead. Mais si la nouvelle œuvre fait une grande place au reflux des compositions synthétiques, il ne délaisse pas pour autant les compositions plus organiques.
Si Jay Jay Johanson renoue avec ce qu’il sait faire de mieux (ce mélange si attractif où la pop absorbe en son sein le trip-hop et le jazz) il n’oublie pas dans un coin de son esprit l’envie d’explorer de nouveaux territoires. On se demande alors si le grand blond n’a pas trouvé, à force de persévérance, la recette miracle pour combler d’idéal nos plus beaux moments de spleen.
C’est en ça qu’Opium s’avère judicieux, pépite taillée combinant les illustres précités, histoire de nourrir abondamment les flammes qui jadis firent stimuler nos oreilles. Tout y est pensé, millimétré et sans abondance. Onze titres finement produits pour une résurgence actualisée. Loin pour autant de l’easy listening fade, les compositions s’enchainent brillamment et le charme opère invariablement.
Au rayon des psychotropes, la fumerie nous régale d’une bluette agréable. Be Yourself, le titre qui nous invite à la spontanéité. Il est vrai que chez le garçon aux trois J, le contact avec le public a toujours été d’une évidente générosité. Le souvenir alors me venant de lui, l’air enchanté alors que le propos était des plus grisâtres. Il vient de là cet attachement au personnage, de cette ambivalence des sentiments. Tel un célèbre chanteur français murmurant « souris puisque c’est grave » pour ne pas me référer à un combo bristolien donnant la réplique via son antinomique devise « glad to be sad »…
NDE peut alors insuffler ses effets vocaux sur des claquements binaires. Une douceur mélodique des plus tranchantes pour une pièce classique qui ne dépareillerait pas au titre d’illustration sonore d’une comédie romantique.
Viennent alors les arpèges pianistiques d’I Don’t Know Much About Love. Une note de fin de portée en soutien appuyé qui vient se hisser derrière des fourmillements drum & bass. Une leçon amoureuse pour nous inciter au désir absolu. L’ivresse des sens nappée d’une soporifique destinée …
Les vapeurs qui se dégagent alors pour Scarecrow et son flow lancinant dont la vocation solaire sera de faire fondre la glace des fjords. Une attendrissante mélopée teintée de contemplations radieuses.
Enchaînement sur les chuchotements de I Can Count On You. Musique intérieure stylisée dont le chant atteint timidement mais sûrement la stratosphère. Du swing nous sommes passés par quelques accords teintés de blues aux bizarreries sombres et disloquées d’Alone Too Long (autre facette douce-amère en mode rétro)… Ressortir du tiroir ce morceau destiné initialement à être combiné avec Sunshine Of Your Smile (1998) et selon son auteur « Sans doute la plus étrange piste que j’ai pu enregistrer depuis longtemps »
Comme pour toute drogue dure, le consommateur n’est jamais rassasié. Il reste heureusement deux derniers titres avant le point d’orgue. Harakiri, instrumental moment d’un piano aux réverbérations immenses inspirées des b-sides de Bowie, la folie de Ligeti et le monde imagé de Kubrick. A l’occasion de l’album précédent (Cockroach) Jay Jay Johanson confiait son intérêt pour le principe. Il y deux ans, il s’agissait d’insomnies, en 2015 le remède aux nuits sans sommeil se trouve dans l’extraction du pavot.
« Une pièce instrumentale. Juste une vieille boite à rythme, un synthétiseur Moog et mes doigts sur mon cher piano. Insomnia et Harakiri sont quelques-unes des nombreuses pistes instrumentales que j’ai enregistré ces derniers temps. Peut-être un jour, pourrais-je imaginer un album sans ma voix »
Ne reste plus que quelques secondes de candeur avant de ranger le disque dans son étui. La ballade charmante de Celebrate the Wonders. La célébration des merveilles ne pouvait pas trouver ensemble plus adapté. Ici, le recueil en est rempli.