» Le meurtre de Weimar ? N’exagérons rien : des meurtres, il y en eut d’autres que cet assassinat d’un ouvrier communiste dans la nuit du 9 au 10 août 1932, à Potempa, en Silésie. Les quatorze années de la République de Weimar ont eu, de Rathenau à M le Maudit, leur content d’assassinats mondains, crapuleux, fictionnels ou politiques: des centaines de morts violentes, dans les rues, au détour d’un chemin, à l’écran, jalonnent l’histoire de cette République, notamment ses premières années (entre 1919 et 1923) et ses ultimes, de 1930 à 1932. »
D’emblée, Johann Chapoutot se montre plus nuancé que la présentation de l’éditeur dans la quatrième de couverture :
» Quand la République de Weimar est-elle morte ? On retient généralement un événement central : l’appel à la chancellerie, à Berlin, d’Adolf Hitler. On ne prête guère d’attention à un autre fait, provincial, obscur : l’assassinat violent, dans un bourg reculé de Silésie, d’un ouvrier communiste par cinq SA ivres et brutaux. Débordé par une base impatiente et altérée de pouvoir, Hitler fait une entorse à son légalisme proclamé et prend fait et cause pour les assassins. Devant la menace, le gouvernement commue la peine des meurtriers. L’État de droit prend fin : les nazis revendiquent une nouvelle légalité, qui fait des meurtriers des soldats et d’un crime un acte de guerre ou de justice. »
Johann Chapoutot ne cherche pas dans un souci de vulgarisation à parler de la grande Histoire par le fait divers. Il utilise cet événement pour faire un état des lieux de la République de Weimar de 1930 à sa fin officielle, à savoir l’arrivée de Hitler en tant que chef du gouvernement le 30 janvier 1933.
Dans les premières pages, comme un rapport de police, Chapoutot écrit ce qu’il s’est passé cette nuit-là. La soirée de beuverie qui se termine par le lynchage pur et simple de Konrad Pietzuch (militant communiste d’origine polonaise) dans la petite ville de Silésie : Potempa. Chapoutot en profite pour faire le portrait des SA, non sans une certaine ironie lorsqu’il les montre fuyant devant un chien. Ce faisant, il met à mal l’image du « grand soldat allemand » à la sauce Antique (thème abordé dans son premier essai : Le national-socialisme et l’Antiquité, PUF, 2012). Assez rapidement, la justice se prononce pour la peine de mort.
Par la suite, Chapoutot, dans la première moitié de son essai, décrit ce qu’était la République de Weimar à ce moment-là : un pays en pleine crise économique depuis 1929. La population allemande ressent une très grande frustration à la suite du pacte de Versailles. Les dissensions politiques au sein du gouvernement sont très fortes, ce que le NSDAP ne manque pas d’exploiter.
L’essai est brillant : en peu de pages, on lit une société allemande en pleine ébullition qui vit ses derniers moments démocratiques. Les luttes entre milices sont quotidiennes. Chapoutot montre la façon dont Hitler doit composer avec son propre parti pour parvenir au pouvoir, ce qu’il n’aura plus à faire après la Nuit des longs couteaux.
Suite au putsch de la brasserie, ce projet de coup d’état avorté, le Führer (après un passage par la case prison où il rédigera Mein Kampf) décidera de prendre les voies légales pour accéder au pouvoir. C’est pourquoi il se retrouve dans l’embarras après le meurtre de Potempa. Mais très vite, Hitler retourne la situation à son avantage en réussissant à soumettre la République et en rassurant l’aile gauche de son parti. Ce fait divers, s’il n’est pas à lui seul la cause de la fin de la République de Weimar est, tout de même, une étape importante dans l’évolution des mentalités en Allemagne, notamment en matière de droit. En effet les nazis considère que l’homme n’est pas l’égal d’un autre homme (une conception qui nie la Révolution de 1789) et donc qu’un allemand a plus de valeur qu’un Polonais. Adolf Hitler devient alors le garant du droit, il applique la justice au nom du peuple allemand.
L’essai se termine par la Nuit des longs couteaux ou comment Hitler assoit son autorité sur le parti en se débarrassant des éléments perturbateurs du parti dont les représentants historiques des SA tel qu’Ernst Röhm (qui reprochait à Hitler de tourner le dos au prolétariat).
Le texte est agrémenté d’illustrations de propagande accompagnées de leur explication, cela dans le but de montrer comment les nazis se sont emparés de l’opinion publique pour retourner la situation à leur avantage en jouant sur la désinformation concernant les communistes et l’angoisse de la crise dans le but de créer un climat anxiogène.
Ce petit essai de Johann Chapoutot est brillant à bien des égards sans succomber au didactisme enfantin, il trouve le bon mélange entre l’explication claire et l’érudition du propos.
Le meurtre de Weimar, Johann Chapoutot, PUF, 2015