[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n 2002, Jonathan Franzen, l’auteur du roman culte Les corrections fit entrer dans nos bibliothèques et nos librairies une littérature américaine moderne, critique sur la société dans laquelle elle évolue. Une littérature qui regarde et digère le monde tel qu’il avance : dysfonctionnel, cynique et à la fois drôle et décalé. Auteur de son temps et précurseur (avec pour miroir de la langue et ami intime David foster Wallace, grand auteur américain qui innova et fit exploser la langue américaine dans les années 90), Franzen est le maître des romans fleuves, figure de cette littérature américaine labélisée « créative wrtting » maître du Page turner acerbe et visionnaire.
Il changea le regard d’une génération de lecteurs sur la littérature contemporaine. Il revient en cette année 2016 avec un grand roman : Purity, que vous ne regretterez pas d’avoir calé dans vos valises de vacances. 750 pages et quelques 800 grammes de rebondissements et de critique sociale, de héros tous plus émouvants et lâches les uns que les autres, des flashbacks et des secrets inavouables articulés autour de notre héroïne Purity, alias Pip, une jeune Américaine qui vit dans un squat à Oakland, en Californie. Elle ignore qui est son père. Comme beaucoup de filles de son âge, elle se demande ce qu’elle va bien pouvoir faire de son existence. A partir de là va se mettre en place une galerie de personnages, une intrigue tentaculaire et absolument astucieuse qui ne vous permettra pas de lâcher le livre avant la dernière page.
Franzen, nous livre un miroir de nos vies connectées, nouveau lieu du totalitarisme social, un pacte sur le mensonge, le secret et les illusions de nos propres engagements.
Purity est une spirale de trahison, un kaléidoscope de vies imbriquées, incertaines qui cherchent en vain répit et bienveillance, sens et apaisement. L’écriture ce déploie douce – amère, pleine de fantaisie et de savoir-faire. Franzen dissèque notre rapport au sexe et à l’amour (qui reste l’un des questionnements centrale de ce livre). Ici, les personnages pensent que le désir, la séduction et leur accomplissement par le rapport sexuel solutionnent les rapports humains, mais il est surtout le lieu où se perdre.
Franzen interroge nos perversions, notre rapport au féminisme. Il évoque ce mouvement infime du passage à l’âge adulte et comment, nos sociétés expéditives, assoiffées de vitesse et de célébrité font bouger les lignes, comment cette société décale les frontière, comment devenir adulte, trouver sa place, absorber le monde et ses névroses, les failles de nos familles dysfonctionnelles, de nos rapports au corps et à la liberté.
Franzen nous demande de regarder quels mensonges nous guettent, qui nous serions prêts à trahir et selon quel degrés de culpabilité. Il fait tout cela avec naturel et mélancolie, rien de glauque ou de moralisateur, les faits de nos héros sont là, miroirs de nos écueils en cours.
Ce livre est également le lieu où interroger nos idéaux, notre lâcheté, la notion de pouvoir et nos dépendances. En filigrane, l’amour, l’éducation (Pouvons-nous nous autoriser à être de meilleurs parents que ne l’ont étés les nôtres ?). C’est un livre drôle, émouvant, sans fatalisme. Le rapport au sexe qu’il questionne n’est jamais vulgaire ou sur joué, il nous parle de nos égarements et de nos égos, de nos amours dans un monde où s’aimer soi-même (ou l’autre comme miroir de nos certitudes), devient une norme, où l’individu prend forme d’ego. Mais le discours est tenu par une belle nostalgie et de l’espoir…
Construit sous forme de va et vient et de roman chorale, on aime se laisse prendre dans la toile habile de l’auteur. Il interroge aussi la « nouvelle » liberté de la femme depuis les années 70 et le rapport des hommes au féminisme. Le cœur du livre est le secret, transmis, éludé, obsédant, protecteur. Les pistes sont multiple chez Franzen, il ouvre des portes, et nous laisse regarder le trouble s’installer et chercher en nous les certitudes.
Purity de Jonathan Franzen, traduit par Olivier Deparis publié aux Editions de l’Olivier, Mai 2016
Photo bandeau : Keystone USA-ZUMA/REX