[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]a seule différence entre les gens sensés et les gens fous est que les premiers ont le pouvoir d’enfermer les seconds, écrivait Hunter S. Thompson. Voilà qui en dit long sur la façon dont l’incarnation du journalisme « gonzo », mort en 2005, considérait la vie. Et ce n’est pas la biographie écrite par son fils Juan qui va démentir cette vision du monde…
Juan F. Thompson, né en 1964, est aujourd’hui informaticien et vit à Denver. Entre 1964 et 2005, il a donc vécu à proximité d’un père dont il va nous raconter, en quelque 300 pages, l’essentiel de la vie mais surtout l’essentiel de ce que lui, enfant, adolescent puis adulte, a vécu auprès d’un être singulier, insupportable et peut-être génial. On dit souvent que les enfants s’inspirent forcément de leurs parents, soit par l’imitation, soit par la réaction. Clairement, Juan F. Thompson a choisi la deuxième option : sa façon d’écrire et sa façon de vivre ne ressemblent en rien à ce qu’a écrit et vécu son célèbre père. Et son récit va nous expliquer pourquoi.
On se doutait bien que Hunter Thompson n’était pas un ange. Avec ce livre, on en a la confirmation. Le jeu, l’alcool, les femmes, la dope, les armes, la musique, la politique : il ne restait pas beaucoup de place pour une vie de famille telle qu’on l’entend généralement. Journaliste gonzo, Hunter Thompson sera un père gonzo aussi, tout en subjectivité, attaché à la vie au jour le jour.
Pas l’idéal pour un jeune enfant… il faudra bien que Juan Thompson fasse avec, tout au moins jusqu’au divorce de ses parents en 1978. L’existence de la famille dans le Colorado, là où Thompson mourra en 2005, n’est pas précisément bourgeoise.
Les moments que le petit Juan partage avec son père n’en sont pas moins exaltants : il lui apprend l’amour des armes à feu, celui des films avec Humphrey Bogart, de la musique, à sa façon, et on a la sensation que le père traite son fils sans tenir compte de son âge.
Le jeune Juan passe beaucoup de temps avec Brian et Michelle, enfants des amis du couple Thompson, Tom et Betty, qui mènent une vie plus… structurée, disons. Chez eux, enfants et parents dînent à la même table, à horaires réguliers, les directives sont claires, bref, l’atmosphère est rassurante, même si Tom et Betty, une fois les enfants couchés, rejoignent souvent les Thompson pour des soirées bien déjantées. C’est d’ailleurs là un des intérêts de ce livre que de dresser un portrait réaliste de l’Amérique des années 70, tout du moins de la minorité « rebelle » de cette société.
Le divorce de Sandy et Hunter est un cauchemar pour le jeune Juan, mais en même temps un soulagement.
C’est pour lui l’occasion d’apprendre l’autonomie, à coups d’accès de déprime et de solitude. Le jeune garçon comprend mal ses parents et surtout est partagé entre admiration et haine pour un père dont il reconnaît le talent mais qu’il déteste pour son absence, ses accès de colère et ses excès en tout genre. Il lui faudra du temps, et une bonne dose de maturité, pour parvenir à une sorte de proximité avec cet homme irascible, imprévisible et violent.
Le livre présente les défauts de ses qualités : le lecteur qui l’achète est nécessairement quelqu’un qui a lu Hunter Thompson et s’intéresse à son œuvre. Or, le livre est centré sur la relation père-fils, et laisse dans l’ombre bien des aspects liés à la création littéraire. D’où une certaine frustration, d’autant que Juan Thompson, le fils informaticien, ne suscite pas nécessairement d’emblée l’empathie ni l’intérêt…
D’un autre côté, le livre donne une vision particulière des événements marquants de la vie de Hunter Thompson, et même de sa mort… Le récit de la cérémonie grandiose et totalement barrée organisée et financée, entre autres, par Johnny Depp, pour rendre hommage au défunt après son suicide, vaut à lui seul qu’on se penche sur ce livre sincère, parfois émouvant.
Fils de Gonzo de Juan F. Thompson, traduit de l’américain par Nicolas Richard, Globe éditions, 2017.