Ce concert au New Morning, Julia Holter aurait dû le donner le 16 novembre dernier.
Mais en novembre, le monde entier avait la tête tournée vers le Bataclan et c’est très raisonnablement que le concert avait été reporté. Aujourd’hui, trois mois après, les gens se pressent rue des Petites Ecuries pour un concert qui se joue à guichet fermé. Comme pour se rappeler que la vie parisienne n’est plus tout à fait la même, un contrôle drastique est organisé à l’entrée de la salle. Les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Comme à l’aéroport. La seule différence c’est qu’ici les femmes sont fouillées… par des hommes. Comme les hommes d’ailleurs. Et le vigile à qui je demande une explication me dit que les ordres sont les ordres et est-ce que vous voulez bien attendre monsieur, on fait d’abord rentrer les femmes qui ont des tickets. Oui monsieur mais vous voyez, la jeune femme avec qui je suis est déjà entrée et c’est moi qui suis sur la liste, vous compren… bref j’attends sagement que le vigile me laisse entrer.
De longues minutes et quelques bières plus tard, le concert commence enfin. Dire que j’attends avec impatience le début du set de Julia Holter est un euphémisme puisque j’ai demandé cette accréditation il y a déjà de longs mois en expliquant à ma rédactrice en chef que je n’étais pas tout à fait insensible au charme de la jeune américaine. Ce quoi elle m’avait d’ailleurs répondu dans un soupir un peu las : « de toute façon David, en ce qui te concerne, j’ai pris l’habitude de joindre à mes demandes d’accréditation une demande en mariage, comme ça on perd moins de temps en paperasserie… ».
Pourtant ce n’est pas Julia Holter qui arrive sur scène, mais un sympathique trentenaire un peu timide qui, accompagné de sa seule guitare, commence à chanter quelques mélodies crève-cœur. Il me faut un petit moment avant de reconnaître DM Stith dont l’album Heavy Ghost avait eu, il y a quelques années, les honneurs de la presse musicale et avait laissé augurer de belles promesses. Et le fait est que l’univers du chanteur se marie assez bien à l’intimité de la salle plus habituée aux ambiances feutrées qu’aux envolées lyriques. Quand il abandonne sa guitare, il se retrouve penché sur ses machines qu’il bidouille avec le même bonheur qu’un jeune geek qui vient de recevoir la dernière version de Windows. Dans ses moments-là, il est un peu seul au monde… et nous aussi. Ce qui nous permet d’observer un magnifique lancer de bière improvisé sur la moquette du New Morning. (Petite note pour les prochains spectateurs : ne vous asseyez pas au sol si vous êtes à gauche de la scène, juste après les petites marches, l’odeur devrait mettre un peu de temps à disparaître). Quand le sol est enfin épongé par quelques spectateurs consciencieux, DM a repris sa guitare et finit sa première partie aussi joliment qu’il l’avait commencée. Puis laisse sa place à Julia…
Dans la salle l’excitation est à son comble. Julia s’installe devant son clavier, vêtue d’une belle robe (de chambre ?) au motif écossais et accompagnée d’une altiste, d’un batteur et d’un contrebassiste. Le concert commence et les fans du premier rang peuvent commencer à dodeliner de la tête tout en susurrant les paroles de chansons entre leurs lèvres. J’en repère un ou deux qui ont dû, eux aussi, faire leur demande en mariage. Et ils ont un avantage sur moi, c’est qu’ils semblent connaître les chansons. Elles ne sont pas faciles à assimiler pourtant les chansons de Julia Holter. Parce que sous des dehors pop, elles sont pleines de chausse-trappes, d’expérimentations et même parfois d’arrangements à la limite du jazz. « Ben ouais, ça ressemble à du jazz, banane, on est au New Morning, pas dans une de tes salles de concert de popeux qui ont appris la musique avec Duran Duran » me dit mon amie avec une pointe d’ironie que je préfère ne pas relever. De toute façon, j’imagine que si Julia a décidé de faire du jazz, c’est qu’elle avait de bonnes raisons. Et c’est donc avec un plaisir non dissimulé que je me laisse gagner par les mélodies surprenantes de la jeune américaine qui alterne entre morceaux alambiqués de ses premiers albums et ceux plus simples du dernier Have you in my wilderness avec les sommets pop que sont Feel you ou encore Silhouette …
Douze morceaux plus tard, Julia nous annonce qu’il est déjà temps de se quitter. J’ai envie de lui faire remarquer que c’est un peu court jeune homme, qu’on aurait pu dire, ô Dieu, bien des choses en somme et que j’ai passé l’âge de prendre du plaisir en si peu de temps, mais déjà Julia est de retour pour un rappel et une reprise somptueuse et toute en douceur du Don’t make me over des immenses Bacharach et David. Et en amant éconduit qu’elle reconduit à la porte, je suis déjà prêt à tout lui pardonner. Et puis si elle persiste à ne pas vouloir de moi, je sais comment la rendre jalouse : j’ai fait une demande d’accréditation pour le concert de la belle chanteuse anglaise d’Emmy the Great qui ne manquera pas, je l’espère, d’être sensible au charme discret du blogueur parisien. Et d’ici là j’aurai le temps d’apprendre les paroles pour susurrer au premier rang.