[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]es éditions du Rouergue publient le troisième livre de Julia Kerninon (après Buvard et Le dernier amour d’Attila Kiss), Une activité respectable, roman autobiographique dont on pourrait dire que le personnage central est ce qui se lit et ce qui s’écrit.
Avec cette écriture vive, précise, d’une grande maturité dans le rythme de cette phrase construite mais sans excès, Julia Kerninon nous offre les mémoires de ses trente premières années et du rapport fondamental, qu’elle entretient avec ce qui se lit – de l’étiquette d’un flacon de shampoing enfant aux textes de Michel Butel – et comment sa vie s’est façonnée dans le frottement des mots, avec ses mythes fondateurs « J’ai entendu cette histoire un bon milliers de fois, mais je crois n’avoir jamais su de quel livre il s’agissait précisément, seulement que c’était un livre et qu’il était providentiel », ses habitudes « J’ai lu. J’ai lu des livres sans cesse, dans une frénésie panique, en cherchant à rattraper le temps, à rattraper ma mère qui semblait tout savoir », ses fantasmes : la machine à écrire.
Ce livre est un peu celui d’un balancement, celui de la fin de la jeunesse et de l’affirmation dans l’âge adulte, en tant qu’écrivain, de la difficulté et des doutes qui vont avec. On retrouve ainsi des thèmes chers aux romanciers américains des années 50 à 70 : celui de la difficulté à être écrivain (Par exemple, Un dernier verre au bar de Dan Carpenter ou Demande à la poussière de John Fante) et celui aussi d’une vie qui se refuse à être vécue chichement, où il faut se hâter de vivre pour, justement, vivre (Paris est une fête d’Hemingway). Mais, avec son histoire qui pourrait ressembler à d’autres, Julia Kerninon parvient à faire davantage que glisser sa voix singulière. Ses découvertes, ses inquiétudes, ses espoirs et ses désirs n’ont finalement pas grand-chose de commun avec ceux de ces aînés-là, si ce n’est l’amour de la littérature, cette façon de la placer au-dessus du reste.
Sans posture ni artifice (« aussi risible que ce soit, il y a vingt-cinq ans que j’écris, que j’essaye d’écrire des livres »), rigoureux et émouvant, ce livre est très beau pour la sincérité de ce qui est dit clairement, et ce qui, sans l’être en creux, est plutôt suggéré, murmuré, notamment l’admiration pour sa mère. C’est qu’il y a, malgré l’ambitieux projet de se raconter ainsi à moins de trente ans, aussi beaucoup de modestie chez Julia Kerninon dans sa manière de rendre hommage, discrètement, à ce(ux) qu’elle aime :
« Moi non plus je n’ai jamais accepté la vie normale, je n’y ai jamais cru. Partout où j’ai vécu, je me suis déplacée avec mes bagages de livres, c’est un continent mouvant dont je suis l’unique carte, et souvent, avant de me mettre au travail, je relis les quelques textes que je préfère pour former un cercle au centre duquel j’essaye ensuite de me tenir droite, pour faire honneur à ce que j’aime. Les livres me sont comme des boîtes closes, aux étiquettes terriblement sibyllines et excitantes, et je suis quelqu’un de curieux, bien que peut-être exclusivement dans ce domaine, je veux savoir ce qu’ils renferment, je ne sais pas m’arrêter ».
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Une activité respectable de Julia Kerninon paru aux Editions du Rouergue, janvier 2017.