[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#8F914D »]S[/mks_dropcap]i d’aventure vous aviez raté cette fable poétique, cruelle et puissante qu’est À l’origine notre père obscur lors de sa parution en 2014, il est grand temps d’aller en librairie acheter ce petit bijou, dans lequel il est question de désamour, de condition féminine et d’affranchissement.
Dans un pays dominé par les lois patriarcales, dissimulée derrière de hauts murs et de lourdes portes, se trouve la « maison des femmes ». Autant dire la prison des femmes : il s’agit d’un lieu où l’on enferme les épouses, sœurs ou filles que l’on accuse d’avoir jeté l’opprobre ou le déshonneur sur leur famille, d’avoir été infidèles ou d’avoir failli à leurs devoirs. Les accusateurs ? Les hommes, bien entendu, mais aussi d’autres femmes.
Les « pécheresses » sont donc enfermées en ces lieux isolés pendant une durée indéterminée, le temps d’expier leurs fautes. Parfois pendant un an ou deux, parfois pour une vie entière. C’est le cas pour la Mère de la jeune narratrice, qui ne compte plus les années passées entre ces murs et dont la santé mentale et physique se dégrade progressivement. Elle est la mémoire de la maison, celle qui accueille et apaise les chagrins, les peurs, la détresse et la folie des autres femmes. Au détriment de sa fille, à laquelle elle est étrangement indifférente…
Et je parle, je parle, et je lui dis merci (…) Merci de m’avoir appris, en m’aimant de si loin, en m’aimant si peu, en m’aimant si mal, à devenir ma propre mère, à m’aimer moi-même.
La fillette souffre profondément du rejet de la Mère, de ce manque d’amour et de gestes qu’elle ne peut comprendre. Une Mère qui ne vit que dans l’espoir que vienne la délivrer l’époux qui l’a abandonnée. Entre désamour, attente et solitude intérieure profonde, la petite devient une jeune fille tandis que dehors, dans la maison du père, le clan familial n’est pas prêt d’abandonner sa lutte pour éliminer la pécheresse et son engeance…
Avec ce troisième roman puissant, l’écrivaine et sociologue Kaoutar Harchi confirmait le talent révélé dans le très beau L‘ampleur du saccage (Actes Sud, 2011). Porté par la voix de la narratrice, ce récit aussi intense que bouleversant nous offre le portrait d’une jeune fille blessée, en quête de l’amour qu’elle n’a jamais connu et prête à tout pour y accéder.
Servi par une prose puissante et remarquablement construit, ce roman révèle la noirceur de l’âme humaine et explore les difficultés et le malheur de naître femme dans certains pays du monde. Dénonçant la violence, l’hypocrisie et la névrose paranoïaque d’une société patriarcale omnipotente, cette fable cruelle et incandescente ne devrait pas vous laisser indifférents.
Et s’il semble y avoir peu d’espoir dans ce roman, il est pourtant question d’affranchissement et de liberté : une liberté que la jeune héroïne conquerra malgré tout en en osant dire enfin, non seulement aux femmes mais aux hommes, cette vérité qu’ils ne veulent ni voir ni entendre. Un récit bouleversant, qui s’élève tel une mélopée lancinante et devrait vous hanter longtemps.