[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#D9211C »]E[/mks_dropcap]n 1978, soit il y aura quarante ans dans deux jours (le 17 février), quand débarque ce premier album de Kate Bush, c’est peu dire qu’on n’avait rien entendu de tel auparavant. Bien que cette fin de décennie soit riche en bouleversements musicaux, Kate Bush détonne. Surtout en proposant ce mix inédit des genres.
Pour rappel, les 70’s ont été dominées par le rock et ses mastodontes, par le rock progressif, et surtout 1977 voit la vague punk balayer tout ça pour ensuite donner naissance à la new wave. Et voilà qu’en février 1978, débarque un ovni musical, le premier album d’une inconnue, qui va cartonner, prouvant qu’on peut allier exigence musicale et grand public.
Kate Bush a seulement 19 ans quand sort ce premier album magnifique de bout en bout, tellement maîtrisé et elle est déjà une artiste complète : auteur, compositeur, pianiste, danseuse. Il faut dire qu’elle a bénéficié du parrainage de deux artistes prestigieux qui seront une énorme influence pour elle. Tout d’abord, Lindsay Kemp, le professeur de mime de David Bowie, qui lui donnera cette aisance sur scène. Puis, David Gilmour (Pink Floyd), connaissance de la famille, qui la pousse à enregistrer ses premières maquettes.
Les premiers signes apparaissent en janvier 1978, quand sort le single Wuthering Heights, qui sera un tube énorme (son plus gros d’ailleurs), squattant les charts british. C’est un peu l’arbre qui cache la forêt car, qu’on aime ou pas le titre, le reste de l’album est à tomber, la chanson en étant une des multiples facettes. Mais déjà l’ambiance est posée, notamment au niveau des références littéraires, la chanson s’inspirant du roman d’Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent, qui raconte les amours déchirées de Heathcliff et Catherine. Ce qui est frappant à la sortie du clip, c’est la richesse de la palette artistique de Kate Bush, qui est danseuse, comédienne. Richesse non seulement sur le plan musical, mais aussi sur le plan visuel, en témoigne le soin apporté aux vidéos-clips illustrant ses chansons.
Enregistré entre 1975 et 1977, The Kick Inside sort le 17 février 1978, et dès la première chanson, Moving, avec son intro au son d’animal marin (sirènes ?), on se dit qu’on va entendre un truc nouveau. La voix magique et magnifique de Kate Bush soulignée par le piano cristallin pose ce qui sera sa marque de fabrique. Les instruments arrivent un par un, batterie, basse, et on est tout de suite bercé par cette atmosphère étrange, cette voix perchée qui va chercher les octaves là-haut, et ces chœurs angéliques qui l’accompagnent. L’effet est total.
Saxophone Song enchaîne directement derrière et nous emmène dans un bar à Berlin, sur un rythme quasi reggae et porté évidemment par le saxophone de la chanson, instrument auquel Kate Bush voue une admiration, d’où le thème. C’est un morceau avec une orchestration riche, en opposition avec les standards minimalistes alors en vigueur à l’époque.
Strange Phenomena, débute par une petite mélodie inquiétante de piano toute simple et soudain le morceau part dans une grande envolée, que la voix emmène au refrain vers le sublime. Kate Bush y évoque ces coïncidences troublantes qui font le sel de la vie, vues comme un phénomène étrange.
Kite commence avec une énorme rythmique chaloupée, soutenue par des débauches d’instruments, de cordes vocales féminines, et cette voix qui s’envole, qui se module, comme un instrument à part. Il est encore question de lune, de nuit, comme dans Strange Phenomena. La chanteuse y évoque un personnage qui est tiraillé entre la force qui le pousse à s’envoler tel le cerf volant du titre, et celle qui le pousse à rester chez lui.
Kate Bush et ses musiciens pratiquent un format inclassable de chansons, comme on a alors rarement entendu. Surtout en 1978, alors que la vague punk avait balayé tout ça, sortir un album plein d’instruments parait fou, mais c’est beau. Notons l’intervention discrète de David Gilmour, sur deux morceaux de cette première face, enregistrés en 1975.
Après cette débauche et cette richesse de sons, survient The Man With The Child In His Eyes. Morceau simple et magnifique, soutenu par la voix, le piano et une instrumentation discrète à base de violon. C’est un morceau d’une beauté incroyable, à faire tirer des larmes au plus endurci. Kate Bush nous y parle d’amour et de la manière dont elle perçoit les hommes, avec cet enfant caché derrière leurs yeux.
Le tube Wuthering Heights clôt la face A en beauté. Point de longueurs sur cet album, juste ce qu’il faut, les morceaux sont courts et s’enchaînent parfaitement. Voila ce qu’on retient de cet album, tout ici est riche, les sons, les voix, l’orchestration… jusque dans ses textes. A noter que Kate Bush a une prédilection pour les thèmes touchants à la nature, à la terre, avec un vocabulaire s’y référant que l’on retrouve dans ses chansons.
La face B commence avec James And The Cold Gun, mené par une rythmique d’enfer, avec une belle guitare, ce qui est plutôt rare chez Kate Bush. C’est un morceau rock, avec une pêche incroyable, souligné par un orgue très soul qui porte le refrain. Il s’agit d’une des premières chansons écrites par la chanteuse et qui faisait partie de son premier répertoire dans le circuit des pubs.
Feel It est une ballade toute simple, voix et piano, qui contrebalance la mélodie de la voix à merveille, morceau qui permet à la chanteuse de montrer à nouveau l’étendue de ses vocalises.
Oh To Be In Love est un morceau typique de cet album, par son piano, ses instruments, ses voix, morceau tout en montée de tension musicale, avec un refrain chanté par un chœur d’hommes, qui contrebalance parfaitement la voix de Kate Bush. C’est encore une chanson sur l’amour, avec une mandoline au refrain. On a rarement chanté l’amour d’aussi belle manière, tout comme sur la chanson suivante, avec ce titre à moitié en français, L’Amour Looks Something Like You.
Them Heavy People commence par la voix de Kate Bush et se poursuit sur un rythme chaloupé qui nous berce et fait bouger les corps. La chanteuse a un sens imparable des mélodies, un vrai travail de composition. C’est un morceau dansant et pourtant au thème pas si léger, traitant de religion, de cette volonté juvénile d’en savoir toujours plus.
The Kick Inside, qui donne son titre à l’album, vient clore cet album en beauté. Juste Kate Bush et le piano, accompagnés par un discret violon pour un morceau mélancolique et magnifique. La chanson est inspirée du folklore traditionnel irlandais et nous narre l’amour incestueux entre un frère et une sœur.
C’est un album assez court au final, mais tellement riche, dont on n’a jamais fait le tour. Riche par ses textes, usant d’un vocabulaire soutenu, avec des mots plutôt peu courants, ce qui est rare en musique populaire. Riche par ses compositions, et par la voix fabuleuse de Kate Bush et de ses extraordinaires musiciens. Ce qui frappe, c’est la maîtrise de cet album, venant d’une si jeune artiste. La musique produite est tellement atypique qu’elle pourrait pourrait être la bande-son imaginaire d’un monde féerique. Quarante ans plus tard, cet album n’a pas pris une ride et nous enchante toujours autant.
Kate Bush a su concilier démarche artistique et succès populaire. L’album se placera numéro 3 dans les charts. Plusieurs singles en seront extraits. C’est le début d’une belle carrière et d’une belle artiste hors norme, qui n’a cessé de nous surprendre et qui n’a jamais été là où on l’attendait. C’est aussi une artiste rare, dix albums studio au compteur.
Kate Bush, Addict-Culture en a déjà parlé, que ce soit lors de son retour sur scène, en 2014, ou pour la parution de sa biographie.