[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#dd0202″]J'[/mks_dropcap]écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n’échangerais ma place contre aucune autre, parce qu’être Virginie Despentes me semble être une affaire plus intéressante à mener que n’importe quelle autre affaire.
Incipit-uppercut. Le ton est donné, les choses sont claires. Que celles et ceux qui y verraient quelque chose à redire détournent le regard et retournent s’enfoncer la tête dans le sable et bien profond. Pour les autres, continuons.
En plusieurs courts chapitres placés sous le patronage de figures de renom (Virginia Woolf, Angela Davis, Simone de Beauvoir…), Virginie Despentes explore les enjeux politiques et économiques de la place des femmes et, par symétrie, de celle des hommes. Féminité, maternité, sexualité, prostitution, viol, pornographie, elle décortique ces sujets et leurs ficelles sous une plume directe.
Son point de vue interroge les représentations et les clichés. Son regard net et franc permet au lecteur de décaler le sien : féminité obligée semblable à une aliénation, un art de la servilité/revendication du droit à se remettre debout après un viol et à faire changer la honte de camp/prostitution qu’elle expérimente par choix et qui donne lieu à un plaidoyer pour garantir des conditions de travail protectrices aux femmes qui exercent ce métier/industrie du cinéma pornographique tenue par les hommes, pour les hommes et enfin, plus largement éloge du féminisme, comme un humanisme : « Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes et pour les autres. »
Lorsque j’ai acheté un exemplaire de King Kong Théorie, j’étais accompagnée de mon fils qui n’était alors qu’un bébé de quelques mois. En me tendant le livre, le libraire a eu ces mots : « Il ne faudra pas le lui lire, hein ? » À son air niais, j’ai rendu un sourire tout aussi niais. Je n’envisage pas en effet de le lui lire en histoire du soir, et j’espère que le jour où il sera en âge de le lire, les constats de King Kong Théorie seront dépassés, mais tant que les femmes et leurs corps ne seront pas laissés libres et en paix, il sonnera toujours juste.
En attendant, et pour faire changer les choses à ma façon, je m’attacherai à transmettre à mon fils quelques enseignements de cet essai-coup de poing, dont celui-ci :
«[Ta] puissance ne reposera jamais sur l’inféodation de l’autre moitié de l’humanité. Un être humain sur deux n’a pas été mis au monde pour [t’]obéir, s’occuper de [ton] intérieur, élever [tes] enfants, [te] plaire, [te] distraire, [te] rassurer sur la puissance de [ton] intelligence, [te] procurer le repos après la bataille, s’appliquer à bien [te] nourrir…tant mieux. »
King Kong Théorie de Virginie Despentes
Publié en 2006 chez Grasset. Disponible également en livre de poche.