[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#C04645″]C[/mks_dropcap]et Aimant là agit sur vous comme tel : il vous attire, vous séduit et ne vous lâche plus. D’abord parce qu’en tant qu’objet, c’est une très belle création graphique. Ensuite, l’atmosphère prenante qui s’en dégage ne cesse de vous captiver. Enfin, il y a les thermes de Vals, lieux de l’intrigue, qui déploient leurs charmes jusqu’à l’envoûtement…
Une bande dessinée se laisse généralement toucher, parfois respirer, elle se laisse manipuler, regarder. Elle joue ainsi avec notre pupille et s’offre à nos sens en éveil. À cet égard, avec L’Aimant, Lucas Hariri et les éditions Sarbacane font carton plein. Le livre est un bel objet d’art, avec dos carré collé en toile rouge, papier au grammage épais vous renvoyant à l’idée que chaque page compte, impression soignée en trichromie, ligne claire et dessin pleine page comme pour nous laisser le temps d’admirer la beauté du travail…
Il est vrai que l’auteur s’y connait en techniques d’impression, ayant fait des études aux arts décoratifs de Paris dans la section… image imprimée. Et le savoir-faire de Sarbacane n’est plus à démontrer qui sait produire de belles choses, à l‘image du Rêve de Météor Slim de Frantz Duchazeau ou du plus récent Panama Al Brown d’Alex Winker et de Jacques Goldstein.
Tout est donc savamment dosé pour réussir à capter notre attention, nous happer dans un univers particulier, en l’occurrence celui des thermes de Vals, au cœur de la montagne suisse. Côté graphisme, notons que, sans doute soucieux de nous empêcher de sortir du labyrinthe architectural que représente le bâtiment des thermes, les cases de la bande-dessinée sont réalisées sans… gouttière : à ne pas confondre avec le système habituel de tuyauterie destiné à recueillir les eaux de pluie ! Non, en langage BD, la gouttière désigne l’espace entre deux cases. Et dans le cas présent, exit le blanc : toutes les cases sont collées les unes aux autres. Cela renforce le sentiment d’enfermement que nous inspire l’histoire de Pierre, personnage central de l’histoire.
Le jeune homme s‘est pris de passion pour l’œuvre de l’architecte suisse Peter Zumthor, au point de lui avoir consacré un début de thèse. Mais n’ayant pu mener son travail jusqu’au bout, l’étudiant se sent un jour de nouveau titillé par une envie mordante : celle d’arpenter cet endroit bizarroïde, de jour comme de nuit. Convaincu que les lieux cachent un secret, il veut en découvrir les coins et recoins, les dessinant sur un petit carnet noir, cherchant aussi à en savoir plus en faisant ami-ami avec les habitants, dont le serviable Christian, le soi-disant fou Testis et la charmante Ondine. À cela s’ajoutent les relations étranges qui se nouent entre Pierre et l’inquiétant Monsieur Valeret, conférencier spécialiste de l’histoire des thermes.
Scénaristiquement, la bande-dessinée ne dit pas vraiment son nom, oscillant entre l’enquête policière, le récit fantastique, la fable historique… Il existe donc quelques moments où l’on se sent quelque peu désorienté. D’autant que la mise en abyme est parfois vertigineuse, au sens propre comme au sens figuré. En témoignent les pièges des crevasses et autres pierres qui volent, tout autant que le fait de voir le destin du jeune Pierre croiser celui… du père de Lucas Hariri, l’auteur même de la BD ! Au final, l’ensemble se tient néanmoins jusqu’au dénouement final. En d’autres… thermes, placez-vous dans les pas enneigés de Pierre et faites-vous aimanter, en toute confiance, au détour d’une porte dérobée…
L’Aimant de Lucas Harari
Paru aux Editions Sarbacane, Août 2017