[dropcap]C’[/dropcap]est décidément un film à part dans l’œuvre de François Truffaut que L’Enfant Sauvage, dans lequel on retrouve toute la sollicitude du grand cinéaste pour le monde de l’enfance. Un film austère et grave, aussi dépouillé et aride que l’Aveyron du 18ème siècle dans lequel il se déroule. Un film emblématique, émouvant et terrible, sorti sur les écrans français le 26 février 1970. Attention, chef d’œuvre !
Un an après Mai 68 et les échecs relatifs de La mariée était en noir et La sirène du Mississipi, qu’il jugeait manqués, François Truffaut revint à un projet plus personnel avec le récit coup de poing d’une éducation pas comme les autres. Muni de seuls objets rudimentaires, il choisit de livrer au monde le destin tourmenté du petit Victor, enfant sauvage trouvé en Aveyron, à travers ce long métrage en noir et blanc qui tient d’avantage de l’exposé scientifique que du film. Le réalisateur s’appuie sur les carnets du médecin qui le recueillit alors, absolument introuvables en France depuis 1894, et réédités en 1964.
« Cette histoire est authentique, elle commence dans une forêt française un jour de l’été 1798 »... Cet été-là, des paysans surprennent dans une forêt un enfant-loup d’une dizaine d’années et le capturent. Il est sourd, muet, nu, marche à quatre pattes et se nourrit de racines et de glands. L’enfant est emmené à l’institut des sourds-muets de Paris, où il devient un objet de curiosité pour les visiteurs. Les professeurs veulent le faire interner à l’asile mais un jeune médecin, Jean Itard, se charge de l’enfant et l’emmène chez lui, où il va tenter de tout lui apprendre, du moindre geste à la parole, pour en «faire un être humain».
L’éducation ne se fait pas sans cruauté et Truffaut parvient ici remarquablement à rendre la souffrance sourde, la peur des punitions, l’incapacité à parler de l’enfant ainsi que ce regard « vierge », dénué de toute compréhension des codes, qu’il pose sur le monde des hommes. Il excelle à montrer la relation particulière et très forte qui s’instaure progressivement entre Victor et son éducateur. Notons que le jeune Jean-Pierre Cargol, qui joue le rôle de l’enfant sauvage, fut repéré dans un camp de gitans près de Montpellier. Lequel jeune garçon était le neveu de Manitas de Plata, hé oui !
L’extraordinaire qualité du film naît de sa sobriété et de son dépouillement pathétique, que d’aucuns reprocheront à Truffaut. Il marquera la première collaboration entre Truffaut et Nestor Almendros, dont le noir et blanc sublime fait ici des merveilles, et qui travaillera sur huit autres films du cinéaste. Un film rare et précieux, à voir ou à revoir, véritable plaidoyer pour l’altérité, qui vient nous rappeler que tout enseignement est une mise en scène et nous interroge sur la notion d’éducation et ses limites.
[box type= »note » align= »aligncenter » class= » » width= »200″]Pour aller plus loin : Jean Itard, Victor de l’Aveyron, éditions Allia (2009)[/box]
Un film magnifique