Tous les indicateurs étaient à l’optimisme. Un Woody Allen qui ne se situe pas quelque part en Europe et son lot de cartes postales de chez les nantis, qui ne se passe pas non plus dans le passé pour sa collection de tableaux sur les chromes rutilants d’une époque fantasmée : deux bonnes nouvelles. Un Woody Allen prenant pour protagoniste un prof de philo nihiliste et s’annonçant comme grinçant, loin des comédies vaines des dernières décennies : une raison supplémentaire de nous mettre dans un appétit qu’on ne se connaissait plus face à sa livraison annuelle.
Quoi qu’il fasse désormais, le très bientôt octogénaire marche sur ses propres traces. Ici, la mention du Crime et Châtiments de Dostoïevski assume une filiation avec deux de ses meilleurs films, Crimes et délits et Match Point. Et c’est peu de dire que la comparaison ne lui rend pas service. Il est assez saisissant de constater à quel point le réalisateur se fourvoie dans ses propres automatismes : il ne suffit pas d’écrire des situations ou d’inventer un pitch pour qu’un film prenne chair. Allen enchaîne avec un tel stakhanovisme, et depuis tant d’années ses productions qu’il ne semble plus apte à considérer le processus de maturation dont elles pourraient bénéficier. Dans cet opus comme dans tant d’autres, tout n’est qu’esquisse. Les personnages sont des fonctions et non des individus, des idées plus ou moins malicieuses, les milieux des références, qui semblent paresseusement nous dire « Cf. les autres films sur le même sujet ». La satire du campus universitaire, du prof blasé et de la sémillante étudiante, le policier ou la tragédie morale, rien n’est creusé, tout n’est que renvoi à un terrain qui, certes, ne peut qu’être connu du spectateur fidèle à Allen.
En résulte une petite histoire aseptisée dans laquelle un Phoenix au gros ventre et une Emma Stone aux grands yeux récitent avec une diction irréprochable les nouvelles saillies du vieux maître, ponctuées d’un unique motif musical dont la répétition incessante confesse elle aussi la fatigue de toute l’entreprise.
Le plus étonnant est qu’on nous annonce ce film comme cynique et grinçant. Après une exposition assez laborieuse, durant laquelle l’attirance pour le prof est loin d’être convaincante, (comme de plus en plus souvent chez Allen, où les sentiments sont écrits, et non incarnés), le fameux twist excite en effet : tuer pour redonner un sens à la vie. Mais tout est si facile, d’une telle linéarité qu’on ne peut pas une seconde entrer en empathie avec ce personnage, et de ce fait faire nôtre le soit disant dilemme moral en présence. Certes, son regain de vie et sa transformation permettent au film de se relancer, mais ce n’est pas le policier en découlant qui compensera les paresses initiales. On peut un temps se réjouir de voir la jubilation du criminel à jouer avec le feu des indices, mais le tout se noie rapidement dans une surexplicitation pénible, notamment par le recours aux voix off d’une inutilité totale, tant les protagonistes passent déjà leur temps à déblatérer, en pseudo philosophes, sur des questions qui n’en demandaient pas tant.
On sait pourtant à quel point le pessimisme de Woody Allen peut nourrir de vrais personnages, même récents, dans la veine comique avec Anything Else ou plus touchante dans Whatever Works.
On ne s’étendra pas sur ce final froussard en diable au regard des infiniment plus complexes Crime et Délits ou Match Point : pirouette morale convoquant la « chance », petite malice sans saveur, justice immanente, ces recettes sont à la mesure du film : l’application sans grande conviction de formules décharnées. C’est bien là, en somme, que se loge le véritable pessimisme : celui de voir un génie incapable de se taire, puisqu’il semble avoir déjà tout dit.