La réalisatrice chilienne Francisca Alegria livre avec ce premier film une véritable ode à la nature, entre conte fantastique et plaidoyer écologique. La vache qui chantait le futur (Nour films) met en scène Cécilia, (jouée par Leonor Varela, saisissante) chirurgienne d’apparence assez austère, installée en ville avec ses deux enfants, obligée de repartir au chevet de son père dans l’exploitation agricole familiale, au sud du pays. Nous y faisons la connaissance de son frère, Bernardo, qui gère l’exploitation laitière. La mère, Magdalena, (incarnée par Mia Maestro, actrice argentine pleine de grâce) disparue des années auparavant, refait mystérieusement surface et un voile fantastique enveloppe soudain cette histoire entre nature domestiquée et vie humaine consumériste.
Lieu du mystère et terrain de catastrophes écologiques, cette partie du Chili, la région des rivières, a réellement connu en 2017 la mort massive de poissons de rivières, imputée sans preuves ni condamnations à une usine de traitement de papier. Ici, c’est un mal inconnu et mortel qui va frapper les vaches, provoquant désastre humain et prise de conscience écologique pour l’héroïne. L’aventure contée n’est pas loin de nous, il suffit d’écouter la radio, des éleveurs catalans abattent actuellement une partie de leurs troupeaux à cause de la sécheresse qui sévit dans les Pyrénées-Orientales. La nature s’épuise, le climat est bouleversé, à nous de prendre conscience que le monde change et de décider d’en prendre soin différemment.
La réalisatrice s’est emparé de la crise écologique et du décalage entre nos besoins alimentaires et l’exploitation agricole intensive pour mettre en lumière la façon dont nous traitons les animaux, comme des ressources, comme des produits, dont nous disposons. Le lyrisme s’invite quand les vaches n’ont plus qu’un chant de mort à livrer aux humains, beau et terrifiant, le spectateur accompagne Cécilia dans sa découverte de ce qui dysfonctionne dans le schéma actuel. Des vaches associées aux mères-nourricières qui perdent leurs petits (inséminées, elles sont ensuite systématiquement séparées de leur veau), chantent le féminin parqué, malmené, en même temps que l’héroïne se demande si sa propre mère n’était pas juste une femme en quête de liberté, elle aussi…
Autour de Cécilia, son fils Tomas qui lui a pourtant dit à plusieurs reprises qu’il se considérait comme une femme, et qu’elle refuse d’accepter comme telle : « tu seras toujours mon fils », sa plus jeune fille qui illumine le film de son oeil d’enfant volontiers prompt à accueillir le retour de Magdalena, grand-mère qu’elle n’a connue qu’en photos, sans poser de questions, et Bernardo, prisonnier d’un système agricole qui le fait souffrir.
Résolument moderne et ancré dans le réel, le film reflète une société malade, dans laquelle le vivant est malmené, où l’humain est en quête de sens, et la grâce des interprètes permet un voyage fantastique et parfois comique dans ces thématiques un peu anxiogènes. Le personnage de Magdalena notamment, véritable fantôme de chair et de sang, ne parle pas mais rit, danse, fait l’amour, avec son apparence de jeune femme, qui se montre tour à tour à chacun des membres de sa famille, et apporte une féérie dans cette ambiance délétère. Les blessures de famille ne seront pas toutes guéries, mais chacun y travaille, et la fin du film permet, après le drame, un regain d’optimisme. Une envie d’un retour à la nature, dans le soin, comme si nous allions tous panser des plaies en faisant ce qui est juste. La réalisatrice disait qu’elle aimerait laisser les spectateurs face à des émotions et sensations dures à définir en mots, c’est bel et bien le cas. Allez-voir ce film les yeux grands ouverts., on se retrouve pour un bain de forêt un resto végane ensuite!
La vache qui chantait le futur · Francisca Alégria
Nour Films – 26 juillet 2023